Pot-pourri 1 : le retardement de l’appel des jugements avant dire droit

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Avec la loi du 19 octobre 2015 modifiant le droit de la procédure civile et portant des dispositions diverses en matière de justice, communément appelée la loi “pot-pourri 1”, le législateur belge a supprimé, sur le principe, la possibilité d’interjeter immédiatement appel des jugements avant dire droit. 

J’ai livré un premier examen complet de cette modification dans ma contribution intitulée “Simplification de la procédure par défaut et métamorphose de l’appel, pour quelle efficacité ?”, in J. Englebert et X. Taton (dir.), Le procès civil efficace, Première analyse de la loi du 19 octobre 2015 modifiant le droit de la procédure civile (dite “loi pot-pourri 1”), Limal,  Anthemis, 2015, pp. 107-149.

Il me semble utile de compléter ce premier examen par quelques considérations additionnelles.

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Le siège de la matière se trouve dans le nouvel article 1050, alinéa 2 du Code judiciaire :

“Contre une décision rendue sur la compétence ou, sauf si le juge en décide autrement, une décision avant dire droit, un appel ne peut être formé qu’avec l’appel contre le jugement définitif”.

Ainsi, lorsqu’un jugement avant dire droit est prononcé, il n’est plus possible d’immédiatement interjeter appel de ce jugement avant dire droit (sous réserve de l’hypothèse d’un jugement mixte). 

L’appel contre un jugement avant dire droit ne peut, en effet, être formé que concomitamment avec l’appel contre un jugement définitif. 

Par jugement définitif, on entend un jugement par lequel le juge épuise sa juridiction sur une question litigieuse de recevabilité ou de fondement. Ce n’est donc pas nécessairement un jugement “final” ou qui tranche l’entièreté du litige.

Ce faisant, l’appel d’un jugement avant dire droit est “retardé” ou “différé” jusqu’au moment où il est possible de former appel contre un jugement définitif. 

Précision supplémentaire d’importance : il faut avoir intérêt à interjeter appel du jugement définitif. A défaut, il ne pourra pas y avoir d’appel contre le jugement définitif et donc, par ricochet, pas d’appel contre le jugement avant dire droit… 

Les termes sont essentiels : le retardement de l’appel ne s’applique pas à toutes les décisions provisoires ou prescrivant une mesure provisoire ; mais seulement aux jugements avant dire droit (c’est-à-dire aux jugements visés par l’article 19, alinéa 3, du Code judiciaire).

Les jugements avant dire droit dont l’appel est retardé sont, dès lors, de deux ordres :

  • Les jugements prononcés en cours de procédure qui ordonnent une mesure d’instruction ;
  • Les jugements aménageant provisoirement la situation des parties, dans l’attente d’un jugement définitif dans le cadre de la même instance.

A contrario :

  • Les ordonnances rendues en référé sont toujours susceptibles d’appel immédiat et ne sont pas concernées par ce nouvel article 1050, alinéa 2, car ces ordonnances ne sont pas des jugements avant dire droit au sens de 19, alinéa 3.

Je le répète, mais c’est important, sont seuls concernés par le retardement de l’appel, les jugements prononçant une mesure d’instruction et les jugements aménageant provisoirement la situation des parties le temps que le juge saisi du dossier prononce un jugement définitif dans le cadre de ce dossier.

J’y ajoute une nouvelle précision : les jugements prononçant une mesure d’instruction concernés par ce retardement sont essentiellement ceux qui prescrivent une expertise ou une enquête, puisque les autres jugements d’instruction (descente sur les lieux, vérification d’écriture, production de documents, etc.) ne sont pas susceptibles d’appel.

En résumé, vous obtenez un jugement défavorable en lien avec une expertise, une enquête ou une mesure aménageant provisoirement la situation des parties sur la base de l’article 19, alinéa 3, vous ne pouvez pas – sous réserve de l’hypothèse d’un jugement mixte – introduire un appel immédiat contre ce jugement avant dire droit.

Vous devrez attendre qu’un jugement définitif soit prononcé et interjeter appel à la fois contre le jugement avant dire droit et contre le jugement définitif (ce qui signifie que vous devrez nécessairement avoir intérêt à relever appel du jugement définitif).

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Tempérament à ce nouveau principe : le juge peut admettre l’appel immédiat du jugement avant dire droit qu’il prononce.

On peut, toutefois, se demander dans quel cas un juge va autoriser les parties à immédiatement interjeter appel du jugement avant dire droit qu’il vient de prononcer.

Le ministre a évoqué l’importance ou l’impact du jugement avant dire droit ainsi prononcé. Mais ce n’est pas très convaincant. En particulier parce qu’un tel appel n’empêchera, en principe, pas l’exécution du jugement avant dire droit.

Au demeurant, on peut se demander s’il n’aurait pas été plus opportun de s’en référer à un tiers (par ex. le juge d’appel) pour déterminer si, au vu des circonstances spécifiques du cas d’espèce, un appel immédiat peut être admis.

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Deux observations quant à l’efficacité, ou plutôt l’inefficacité de cette réforme :

  • 1ère cause d’inefficacité

En interdisant l’appel immédiat à l’encontre des jugements avant dire droit, le ministre estime que l’on évitera, à l’avenir, les stratégies dilatoires et que le traitement des affaires sera moins susceptible d’être ralenti.

Je voudrais, à ce sujet, formuler deux remarques à contre-courant du ministre.

D’abord, l’exécution d’une mesure d’instruction n’était – par le passé – jamais ralentie par l’introduction d’un appel, puisque les mesures d’instruction étaient (et sont toujours d’ailleurs) exécutoires de plein droit (art. 1496 C. jud.). L’appel immédiat n’avait donc aucun effet dilatoire sur l’exécution des mesures d’instruction.

Ensuite, si un appel est introduit contre un jugement avant dire droit, l’effet dévolutif est appelé à jouer. Ce qui veut dire que tout le litige va être dévolu au juge d’appel (sous une réserve pour les mesures d’instruction). En d’autres termes, via cet effet dévolutif, le juge d’appel est saisi de l’ensemble du litige, bien au-delà de l’avant dire droit, et l’on “gagne” une instance. Si le procès est vu dans son entier (première instance et appel), l’appel immédiat contre un jugement avant dire droit peut faire gagner du temps. Il n’est donc pas certain que le but annoncé par le ministre permette vraiment d’accélérer le traitement des causes…

  • 2ème cause d’inefficacité

Elle concerne les jugements avant dire droit prononçant une mesure d’instruction.

Conformément au nouvel article 875bis du Code judiciaire (tel qu’introduit par la loi “pot-pourri 1”), les juges ne peuvent plus prononcer une mesure d’instruction sans avoir, au préalable, déclaré l’action recevable.

Or, nécessairement, si le jugement par lequel la mesure d’instruction est prononcée tranche également la recevabilité (ce qui est imposé par le nouvel article 875bis), ce jugement sera mixte (définitif sur la recevabilité ; avant dire droit sur la mesure d’instruction).

Et l’on sait qu’un jugement mixte est immédiatement susceptible d’appel.

En d’autres termes, à cause du nouvel article 875bis, je crains qu’il n’y ait plus, à l’avenir, de jugements d’instruction purement avant dire droit, mais que ces jugements d’instruction seront toujours nécessairement mixtes – et ce même si aucune partie ne soulève de fin de non-recevoir en première instance ! En effet, à supposer qu’aucune cause d’irrecevabilité ne soit invoquée par les parties, le juge devra, dans son dispositif, dire l’action recevable.

J’irais même plus loin : à supposer que le juge ne dise pas expressément l’action recevable (car personne n’aura soulevé de problème de recevabilité), le jugement sera présumé avoir dit l’action recevable (puisque sur la base de l’article 875bis, il n’est plus possible d’invoquer une cause d’irrecevabilité après le jugement ayant ordonné la mesure d’instruction).

Résultat : la conjonction entre 875bis et 1050, alinéa 2, permettra inévitablement un appel immédiat des jugements d’instruction. Il suffira au défendeur de contester, fût-ce de manière opportuniste, la décision du premier juge quant à la recevabilité dans sa requête d’appel pour que l’appel sur la mesure d’instruction soit immédiatement admissible et doive être tranché par le juge d’appel. Et ce même si ce défendeur n’avait rien invoqué, sur le plan de la recevabilité, en première instance.

Il n’est donc pas du tout exclu que des plaideurs :

  • soulèvent, même si c’est voué à l’échec, des causes d’irrecevabilité en première instance pour se ménager un droit d’appel quant à la mesure d’instruction ; voire même :
  • soulèvent, pour la première fois dans leur requête d’appel, un grief d’irrecevabilité pour provoquer un appel mixte (recevabilité et mesure d’instruction) et pouvoir faire appel de la mesure d’instruction.

A cause de l’article 875bis, le retardement de l’appel des jugements d’instruction voulu par le ministre risque d’être totalement inefficace. Le ministre en a été averti et il l’a reconnu.

Pour résumer ces deux causes d’inefficacité :

  • Les motifs invoqués par le ministre pour justifier le retardement de l’appel des jugements avant dire droit sont inexacts ;
  • En pratique, le retardement de l’appel risque d’être inapplicable aux jugements d’instruction à cause du nouvel article 875bis du Code judiciaire.

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Entrée en vigueur : les jugements prononcés après le 1er novembre 2015 sont soumis au retardement de l’appel prévu par l’article 1050, alinéa 2 du Code judiciaire. 

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles