Normalisation et propriété intellectuelle, oui les normes sont protégées !
La normalisation, qu’est-ce que c’est ?
Selon l’Organisation Internationale de la Normalisation (“ISO”), une norme est “un document qui définit des exigences, des spécifications, des lignes directrices ou des caractéristiques à utiliser systématiquement pour assurer l’aptitude à l’emploi des matériaux, produits, processus et services”.
Les normes sont partout, comme l’indique l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (“OMPI”) : “les normes influencent presque tous les aspects de notre vie. Elles ont un impact sur la nourriture que nous mangeons, nos moyens de communication, nos voyages, notre travail, nos loisirs et un nombre infini d’autres activités. Presque tous les produits disponibles sur le marché ont été élaborés conformément à une ou plusieurs normes contraignantes ou d’application facultative”.
Les normes sont protégées par le droit d’auteur
Comme il vient d’être dit, les normes sont des documents qui contiennent des exigences, des spécifications, des lignes directrices et/ou des caractéristiques.
Il en ressort que ces normes, en tant que documents, peuvent être assimilées à des oeuvres littéraires et artistiques au sens de la Convention de Berne, et en particulier de son article 2 (1), lequel prévoit que :
“Les termes « œuvres littéraires et artistiques » comprennent toutes les productions du domaine littéraire, scientifique et artistique, quel qu’en soit le mode ou la forme d’expression, telles que : les livres, brochures et autres écrits; les conférences, allocutions, sermons et autres œuvres de même nature; les œuvres dramatiques ou dramatico-musicales; les œuvres chorégraphiques et les pantomimes; les compositions musicales avec ou sans paroles; les œuvres cinématographiques, auxquelles sont assimilées les œuvres exprimées par un procédé analogue à la cinématographie; les œuvres de dessin, de peinture, d’architecture, de sculpture, de gravure, de lithographie; les œuvres photographiques, auxquelles sont assimilées les œuvres exprimées par un procédé analogue à la photographie; les œuvres des arts appliqués; les illustrations, les cartes géographiques; les plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l’architecture ou aux sciences”.
Conséquence de cette définition comme “oeuvres littéraires et artistiques” :
- Protection par le droit d’auteur.
- Droits exclusifs sur ces normes, qui appartiennent à l’auteur ou au cessionnaire de l’auteur.
- Monopole de l’auteur ou du cessionnaire sur ces normes.
- Interdiction de faire ce qu’on veut de, sur ou avec ces normes, sans l’autorisation de l’auteur ou de son cessionnaire.
Tout ce qui précède vaut, bien entendu, pour autant que la norme soit “originale”, c’est-à-dire qu’elle soit une création intellectuelle propre à son auteur, qu’elle reflète sa personnalité et qu’elle exprime sa touche personnelle (voyez l’arrêt Painer (C‑145/10) de la CJUE).
Je vous vois venir et me demander : “En quoi une liste de caractéristiques et de spécifications, revêt-elle un caractère littéraire ou artistique lui permettant d’être protégée par le droit d’auteur ?”.
Je vous répondrai que la notion d’oeuvre littéraire et artistique n’est pas limitée aux Beaux-Arts et qu’il suffit que le caractère littéraire ou artistique soit (un tant soit peu) présent, pour que l’on tombe dans la notion d’oeuvre littéraire et artistique.
C’est d’ailleurs sur cette base que la jurisprudence (belge) a reconnu un caractère littéraire à la notice ou au mode d’emploi d’un appareil ou d’un produit. La cour d’appel de Bruxelles a ainsi décidé que “les modes d’emploi, en leur forme néerlandaise et française, qui font l’objet du présent litige, sont des oeuvres protégées par le droit d’auteur” (arrêt n° F-19970128-1 (96.AR.144) du 28 janvier 1997, disponible sur Strada Lex).
Conclusion
Puisque les normes sont protégées (ou, à tout le moins, protégeables) par le droit d’auteur, on ne fait pas ce qu’on veut avec ces normes.
En particulier, on ne peut pas poser sur ou avec ces normes les actes qui tombent sous le coup du droit exclusif de l’auteur.
Pas question donc de reproduire (au sens le plus large du terme : copier, photocopier, scanner, uploader, downloader, traduire, adapter…) ni de communiquer au public (là aussi au sens le plus large : en ce compris la mise à disposition du public via Internet, via une base de données, etc.) les normes, sans l’autorisation de l’auteur ou du cessionnaire des droits (en général les organismes du type ISO, AFNOR, etc.).
Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles