Les matchs de football sont-ils protégés par le droit d’auteur ?

Alors que la Coupe du Monde de football est maintenant bien entamée, que l’Espagne et le Portugal se sont livrés à un match exceptionnel, que l’Allemagne a été tenue en échec par le Mexique, que le Brésil n’a pas fait mieux que 1-1 face à la Suisse, et que nos Diables Rouges – après une première mi-temps difficile – ont redressé la barre en l’emportant 3-0 face au Panama, il m’est venu l’idée de vous expliquer les relations entre les matchs de football et le droit d’auteur.

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Un match de football est-il une oeuvre au sens du droit d’auteur et, corrélativement, peut-il être protégé par le droit d’auteur ?

Eh bien, non :

1.   Déjà dans les années 90, à l’époque où la “nouvelle” loi belge sur le droit d’auteur était en gestation, d’éminents auteurs comme Frank Gotzen et Alain Berenboom expliquaient qu’un match de football, si artistique soit-il, ne pourra jamais être qualifié d’œuvre littéraire ou artistique” (Projet de loi relatif au droit d’auteur, aux droits voisins et à la  copie  privée d’œuvres  sonores  et audiovisuelles, Rapport,  Doc.   parl., Chambre,  1993-1994,  Doc. 473/33, p. 70 et p. 277). Pour ces auteurs, un match de football est une “non-oeuvre”.

2.   Après l’adoption de cette loi, Alain Strowel et Benoît Strowel ont confirmé cette solution, estimant que les “manifestations sportives (matches de football par ex.)” doivent être exclues de la notion d’œuvre littéraire et artistique (A. et B. Strowel, « La nouvelle législation belge sur le droit d’auteur », JT, 1995, p. 121, n°12).

3.   Plus récemment, il a été confirmé, à l’échelon européen, que les matchs de football ne sont pas susceptibles d’être protégés par le droit d’auteur et qu’ils ne font, par ailleurs, l’objet d’aucun autre type de protection (par la propriété intellectuelle) de façon harmonisée (c’est-à-dire : par une législation européenne).

C’est la Cour de justice de l’Union européenne qui l’a confirmé, dans son arrêt bien nommé Premier League du 4 octobre 2011, C‑403/08 et C‑429/08.

Selon la Cour de justice, pour être protégeable par le droit d’auteur, une oeuvre doit être originale, c’est-à-dire être une création intellectuelle propre à son ou ses auteur(s), ce qui implique une liberté créative de la part du ou des auteurs (en l’occurence : les joueurs de football).

Or, nous dit la Cour, les règles du jeu (c’est-à-dire : toutes les règles qui encadrent un match de football, les incidents qui s’y produisent, etc.) constituent des contraintes qui ôtent toute liberté créative au sens du droit d’auteur.

En clair, les joueurs de football n’ont pas (ou pas suffisamment) de liberté créative pour que leurs prestations puissent être considérées comme des oeuvres au sens du droit d’auteur et protégées comme telles. Il en va a fortiori de même pour l’ensemble du match (qui constitue l’enchainement ou la suite des différentes prestations des joueurs). Je cite à cet égard la Cour de justice (§§96-99 de l’arrêt Premier League) :

“96. À cet égard, il convient de relever que FAPL ne peut faire valoir un droit d’auteur sur les rencontres de « Premier League » elles-mêmes, celles-ci n’étant pas qualifiables d’œuvres. 

97. En effet, pour revêtir une telle qualification, il faudrait que l’objet concerné soit original en ce sens qu’il constitue une création intellectuelle propre à son auteur (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2009, Infopaq International, C-5/08, Rec. p. I‑6569, point 37).

98. Or, les rencontres sportives ne sauraient être considérées comme des créations intellectuelles qualifiables d’œuvres au sens de la directive sur le droit d’auteur. Cela vaut, en particulier, pour les matchs de football, lesquels sont encadrés par des règles de jeu, qui ne laissent pas de place pour une liberté créative au sens du droit d’auteur.

99. Dans ces conditions, ces rencontres ne sont pas susceptibles d’être protégées au titre du droit d’auteur. (…)”.

La Cour de justice confirme d’ailleurs qu’aucun autre droit de propriété intellectuelle (harmonisé) ne protège, à l’échelon européen, les matchs de football en tant que tels :

“Il est par ailleurs constant que le droit de l’Union ne les protège à aucun autre titre dans le domaine de la propriété intellectuelle”.

Tout en prenant le soin de préciser qu’un Etat membre pourrait décider de mettre en oeuvre un droit spécifique pour protéger les matchs de football (§100 de l’arrêt Premier League).

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Cela dit, s’il est clair que les prestations des footballeurs et les matchs de football ne sont pas des oeuvres originales et ne sont pas protégeables par le droit d’auteur (ni par aucun autre droit intellectuel), il n’en va pas de même du “film” du match. 

Par “film” du match, j’entends le tournage et l’enregistrement de la rencontre de football, le choix des prises de vue (en fonction des multiples caméras présentes dans le stade), le choix des “replays” en fonction des actions marquantes du matchs (diffusion de tel ou tel “replay” à tel ou tel moment), l’insertion et l’utilisation de musiques, jingles, et autres images de transition à tel ou tel moment, etc.

Sans oublier la compilation de tous les éléments qui précèdent avec un générique de début et de fin, et par exemple un hymne (songeons au très célèbre hymne de la ligue des champions).

En d’autres termes, la réalisation du produit audiovisuel du match, destiné ensuite à être diffusé par de multiples canaux (télévision, Internet, etc.), peut être considéré comme une oeuvre protégeable par le droit d’auteur, au titre d’oeuvre audiovisuelle.

Il faut donc distinguer :

  • le match, en tant que tel, qui n’est pas protégeable par le droit d’auteur (la prestation des joueurs et l’enchaînement de ces prestations) ; et :
  • le “film” du match (oeuvre audiovisuelle) qui constitue une oeuvre audiovisuelle susceptible de protection et donc générateur de droits.

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles