Droit d’auteur : une affaire de parapluies
Introduction
C’est une affaire intéressante en matière de parapluies dont je vais vous parler aujourd’hui.
Cette affaire a donné lieu à un arrêt de la cour d’appel de Bruxelles du 21 janvier 2022 (publié dans la revue ICIP-Ing.Cons, 2022, pp. 233 et s.).
Cette affaire est doublement intéressante s’agissant du droit d’auteur, car il y était question de la protection tant (i) de la forme des parapluies litigieux que (ii) du nom sous lequel ces parapluies sont commercialisés (à savoir “D’Amazoni”).
Pour être complet, je signale que cette affaire posait également des questions intéressantes en matière de droit des marques (notamment en lien avec la notion de dépôt de mauvaise foi) ; mais ces questions ne seront pas examinées dans le cadre de cet article dédié au droit d’auteur.
Et pour lever toute ambiguïté à ce sujet : l’image reprise pour illustrer cet article ne concerne pas les parapluies litigieux.
La protection par le droit d’auteur du nom D’Amazoni
Commençons par la protection du nom D’Amazoni, puisque c’est par là que la cour d’appel a commencé.
La cour rappelle qu’un nom peut constituer une oeuvre protégée au sens du droit d’auteur, à condition que ce nom soit original.
Examinant l’originalité du nom D’Amazoni, la cour relève que :
- Si ce nom évoque certes la région amazonienne, il n’en demeure pas moins qu’il est le fruit d’une construction arbitraire.
- La partie finale de ce nom est inhabituelle, en ce qu’elle se termine par « ni » (et non par « nie » comme dans Amazonie).
- La partie initiale, quant à elle, commence par une majuscule (« D’ »).
- L’ensemble se rapproche d’un nom patronymique fictif, à consonance italienne.
- Par ailleurs, le nom D’Amazoni est également arbitraire au plan conceptuel par rapport aux produits auxquels il se rapporte (à savoir des parapluies). Comme l’indique la cour, ce nom “n’est pas objectivement imposé par une propriété ou une caractéristique liée à ces produits”.
- Enfin, le nom D’Amazoni est écrit avec une typographie particulière.
Sur la base de ces éléments, la cour conclut que le nom D’Amazoni est original, et donc protégé par le droit d’auteur, car il est le résultat de choix libres et créatifs (au sens de la jurisprudence de la CJUE, et notamment des arrêts Infopaq et Painer).
Si la question de la protection par le droit d’auteur des oeuvres courtes vous intéresse, je vous renvoie à la Question 7 de mon ouvrage Le droit d’auteur en questions paru aux éditions Anthemis.
J’y explique que la longueur d’une oeuvre importe peu (cela ressort incontestablement de l’arrêt Infopaq). Ceci étant, l’originalité d’une oeuvre courte peut être plus difficile à établir. Je vous renvoie, en particulier sur ce point, au §182 de mon ouvrage (“Difficulté : plus l’oeuvre est courte, plus il est difficile de discerner l’originalité de celle-ci”).
Mais difficulté ne veut pas dire impossibilité, et la cour d’appel de Bruxelles nous en offre un bel exemple en reconnaissant l’originalité, et donc la protection par le droit d’auteur, du nom D’Amazoni.
Les critères retenus par la cour sont importants : caractère “arbitraire” du nom (on pourrait aussi dire “imaginaire” ou “inventé”) et absence de contrainte (le nom D’Amazoni n’est imposé par rien).
La seule chose qui manque peut-être dans le raisonnement de la cour, c’est une discussion de la “créativité” du nom D’Amazoni. En effet, l’originalité ne se déduit pas, en principe, uniquement de l’arbitraire ou de l’absence de contrainte. Comme je l’explique dans Le droit d’auteur en questions (p. 149) :
“L’on comprend de la formule « choix libres et créatifs » que n’importe quel choix, même arbitraire (c’est-à-dire non contraint), n’est pas, en soi, suffisant. Car un choix arbitraire est « libre », mais pas encore nécessairement « créatif » (sinon pourquoi utiliser deux épithètes distinctes, « libre » et « créatif » ?)”.
Mais cette absence de discussion sur la “créativité” s’explique peut-être par l’absence de contestation des défendeurs (appelants) quant à la créativité du nom D’amazoni. Or, comme l’a expliqué le tribunal de l’entreprise de Gand, l’examen de l’originalité est, en grande partie, dépendant de la qualité et de l’ampleur de la contestation du défendeur (Trib. entr. Gand, division Gand, 22 octobre 2020, ICIP-Ing.Cons., 2020/4, p. 854).
Pour le dire autrement, il ne faut pas confondre (i) l’ensemble des critères pertinents pour évaluer l’originalité et (ii) la charge de la preuve qui incombe à chaque partie dans le cadre de l’examen de l’originalité.
Dans une autre affaire, le tribunal de commerce francophone de Bruxelles a estimé que le titre “Les grands mystères de l’histoire” n’est pas protégeable par le droit d’auteur au double motif :
- que ce titre décrit le thème des publications litigieuses (il s’agissait de publications sur le thème de l’histoire) ;
- que ce titre est banal, car fréquemment utilisé par des nombreux opérateurs depuis longtemps.
La banalité de l’oeuvre est donc également un critère.
Il semble que cet argument n’ait pas été invoqué dans l’affaire des parapluies dont a eu à traiter la cour d’appel de Bruxelles (sans doute parce que précisément le nom D’Amazoni n’est pas banal).
Mais il est important de garder ce critère de la banalité à l’esprit car il aura souvent un rôle à jouer dans l’appréciation de l’originalité d’une oeuvre (a fortiori d’une oeuvre courte).
Et évidemment, le fait que le défendeur n’invoque pas la banalité de l’oeuvre est également un élément dont il faut tenir compte : si la banalité n’est pas invoquée, on peut légitimement penser que c’est parce qu’il n’a pas été possible d’étayer cette banalité ; et qu’il s’agit donc d’un indice plutôt en faveur de l’originalité.
Cette réflexion fait le lien avec l’enseignement du tribunal de l’entreprise de Gand que j’ai déjà cité : l’examen de l’originalité dépend, dans une large mesure, de la contestation du défendeur.
La protection par le droit d’auteur de la forme des parapluies
Passons maintenant à la question de la protection de la forme des parapluies litigieux.
La cour note que les caractéristiques originales des parapluies litigieux vantées par les demandeurs (intimés) sont le suivantes : (i) superposition de deux toiles en forme de rosace et (ii) recours à des baleines reprenant cette même forme de rosace.
Les défendeurs (appelants) contestent l’originalité des parapluies litigieux en mobilisant deux arguments :
- La forme des parapluies litigieux serait déterminée par des contraintes techniques.
- La forme des parapluies litigieux serait banale eu égard à d’autres modèles de parapluies existant sur le marché.
La cour commence par observer que sur leur site web, les défendeurs (appelants) affirment que :
- les parapluies litigieux présentent une beauté “à couper le souffle” et une “esthétique” caractérisée notamment par “une harmonisation des couleurs” ;
- les parapluies litigieux ont “la particularité de sortir totalement de l’ordinaire” et qu’il s’agit de “chefs-d’œuvre”.
Selon la cour, ces déclarations constituent une reconnaissance de la part des défendeurs (appelants) quant à l’originalité des parapluies litigieux.
En particulier, la cour estime que ces déclarations montrent qu’il existe une originalité indépendamment ou, à tout le moins, au-delà d’éventuelles contraintes techniques.
La cour rappelle, d’ailleurs, en citant l’arrêt Brompton que la seule existence de contraintes techniques n’exclut pas, en soi, l’originalité.
En tout état de cause, les défendeurs (appelants) n’établissent pas “la nature ni le contenu des contraintes techniques”. A fortiori, ils ne démontrent pas que la forme des parapluies litigieux “serait exclusivement déterminée par ces contraintes”.
La cour ajoute, à propos des autres modèles de parapluies existant sur le marché, tels qu’ils ont été produits au dossier, que ceux-ci présentent une grande diversité en termes de formes : “la toile est tantôt simple, tantôt double ; les morceaux de toile sont tantôt triangulaires, tantôt à base arrondie ; le sommet est tantôt plat, tantôt pointu ou en forme de pagode”.
La cour en conclut que cette grande diversité est de nature à confirmer l’originalité des parapluies litigieux, plutôt qu’à la déforcer.
Conclusion
Cet arrêt de la cour d’appel de Bruxelles est intéressant car il rappelle les principes et montre comment les appliquer concrètement à un litige, en tenant compte de toutes les circonstances de l’espèce (en ce compris le comportement et les déclarations des parties).
Or, l’on sait que l’application concrète n’est pas toujours aisée (voyez, en particulier, les récents renvois préjudiciels dans les affaires Mio et USM Haller).
Mais la cour d’appel de Bruxelles a le mérite de nous rappeler que, même en l’état actuel de la jurisprudence CJUE, et même en présence d’une oeuvre utilitaire, cette application concrète est tout à fait possible.
Il s’agit donc, à mon sens, d’une décision à lire absolument pour tous ceux qui sont intéressés par l’originalité des oeuvres courtes et/ou par l’originalité des oeuvres utilitaires (ou des arts appliqués).
Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles