Droit d’auteur et IA : l’oeuvre Théâtre d’Opéra Spatial
C’est une affaire intéressante, en matière d’intelligence artificielle et de droit d’auteur, dont je souhaite vous parler aujourd’hui.
Cette affaire est pendante devant l’U.S. District Court for the District of Colorado (Civil Action No. 1:24-cv-2665).
Un citoyen américain, Monsieur Jason Allen, se présente comme l’auteur d’une oeuvre graphique intitulée “Théâtre d’Opéra Spatial”.
L’U.S. Copyright Office s’est opposé à la protection de cette oeuvre par le droit d’auteur (copyright), estimant qu’elle n’est pas le résultat d’une création humaine (“the Work lacks the human authorship necessary to support a copyright claim”).
Monsieur Allen est en désaccord avec la décision de l’U.S. Copyright Office et intente un recours judiciaire.
Dans sa requête, Monsieur Allen explique que, pour créer l’oeuvre, il a commencé par un prompt indiquant à l’outil d’intelligence artificielle (en l’occurence Midjourney) des indications détaillées. L’outil d’intelligence artificielle a alors proposé 4 résultats différents. Monsieur Allen a analysé ces résultats et a formulé un nouveau prompt, en retravaillant et complétant ses instructions pour clarifier sa vision artistique. Monsieur Allen s’est aussi rendu compte que certains éléments de ses instructions n’étaient pas pris en compte. Il a donc insisté sur ces éléments manquants dans ses prompts subséquents.
Pour arriver au résultat final (l’oeuvre “Théâtre d’Opéra Spatial”), Monsieur Allen a dû formuler un total de 624 prompts.
Vu ce très grand nombre de prompts, Monsieur Allen estime qu’il a réalisé, en tant qu’humain, un apport créatif considérable lui permettant de revendiquer une protection par le droit d’auteur.
Monsieur Allen opère un parallèle avec un réalisateur dans le domaine du cinéma. L’auteur c’est le réalisateur, même si ce sont des caméramans qui filment. Le réalisateur donne sa vision et ses instructions aux caméramans ; tout comme Monsieur Allen a donné sa vision et ses instructions à l’outil d’intelligence artificielle.
Monsieur Allen pointe le fait qu’au cinéma, on ne refait pas 624 fois la même prise ; ce qui montre le caractère considérable de son travail (en termes de prompts et d’instructions). Se référant au Guinness Book, Monsieur Allen indique que le record, en termes de prises pour une même scène au cinéma, est de 148.
Monsieur Allen indique également qu’après les 624 prompts, il a procédé à un travail de retouches via divers outils, dont Gigapixel AI et Photoshop. Il a également ajouté certains éléments sur l’image a posteriori.
Cette affaire est intéressante car les prompts sont généralement vus comme de simples instructions ne permettant pas, en tant que telles, de revendiquer une protection par le droit d’auteur.
-
- Les prompts sont des instructions fournies à l’IA pour permettre à celle-ci de générer un ou plusieurs résultats.
- Les instructions peuvent être +/- élaborées.
- Il n’en reste pas moins que la mise en forme concrète est réalisée par l’IA.
- Au moment où il fournit un prompt, l’utilisateur ne sait pas quelle forme spécifique va être générée par l’IA. Il n’a donc pas de prise directe sur le résultat (c.à.d. sur l’oeuvre définie comme une forme ou une mise en forme).
- D’ailleurs, à partir d’un même prompt, l’IA (selon les cas) fournit plusieurs alternatives (parfois assez différentes) ; ce qui montre bien que le prompt n’équivaut pas à une oeuvre mise en forme bien déterminée.
- Le prompt s’apparente davantage à une idée (fournie par l’humain) pouvant être mise en forme de multiples façons (par l’IA).
- Il faut faire le lien avec les enseignements “traditionnels” du droit d’auteur. La personne qui commande une oeuvre à un auteur et donne des instructions à cet auteur (par ex. un cahier des charges ou une liste de fonctionnalités) n’est pas, de ce seul fait, auteur ou co-auteur de l’oeuvre commandée. C’est uniquement celui qui met l’oeuvre en forme qui en est l’auteur ; et non celui qui donne des idées, des instructions, des contraintes, etc.
En même temps, et comme je l’ai expliqué ici, la situation pourrait être différente pour les (longues) successions de prompts :
“En effet, dans un tel cas, les prompts ultérieurs au prompt initial pourraient être vus comme un travail de retouche (surtout s’ils sont nombreux et détaillés).
Or, la CJUE a déjà jugé, en matière de photographies, que le travail de retouche peut, sur le principe, donner prise à l’originalité (§91 de l’arrêt Painer, C-145/10).
A mon avis, on ne peut donc pas complètement exclure qu’une longue série de prompts, très précis et détaillés, puisse justifier, dans certaines situations, une protection dans le chef d’un utilisateur (humain)”.
La décision de l’U.S. District Court for the District of Colorado sera donc très intéressante et très importante.
A suivre absolument !
Si le sujet vous intéresse, je vous renvoie notamment aux articles suivants :
- Droit d’auteur et intelligence artificielle
- Intelligence artificielle et droit d’auteur : quelques développements
- IA et droit d’auteur, la décision intéressante d’un tribunal américain
- Bande dessinée, intelligence artificielle et droit d’auteur
- IA et droit d’auteur en Chine : la contrefaçon d’Ultraman
Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles