Droit d’auteur et monuments situés sur la voie publique
Cette semaine, je lisais sur divers sites web (comme ici et là), que l’Open VLD entend déposer une proposition de loi pour créer une liberté de panorama en droit d’auteur belge. L’objectif est de permettre aux particuliers (i) de prendre des photos de monuments situés sur la voie publique et (ii) de publier ces photos sur internet ou de les communiquer au public, même si les monuments en question sont protégés par le droit d’auteur.
Je n’ai pas pu prendre connaissance de cette proposition de loi. Je ne suis donc pas en mesure de vous détailler l’étendue exacte de cette liberté de panorama envisagée, mais je vous propose aujourd’hui d’examiner l’état actuel du droit.
En réalité, la situation juridique actuelle est assez simple.
Même s’ils sont situés sur la voie publique, les monuments qui sont protégés par le droit d’auteur ne peuvent pas être “reproduits au public” (c.à.d. reproduits, puis communiqués au public).
En d’autres termes, si vous prenez une photo d’un monument situé sur la voie publique et que vous la publiez d’une quelconque façon, que ce soit sur votre blog, sur Facebook, sur Twitter, dans un journal papier, dans une revue… sans l’autorisation préalable des ayants droit qui sont les titulaires de la propriété intellectuelle sur ce monument, vous vous exposez à des poursuites judiciaires.
Julie Almau Gonzalez, directrice adjointe de l’Atomium, opère une distinction entre les utilisations publiques “privées” et les utilisations publiques “commerciales” (voyez ses propos relayés par Le Soir) :
“Les personnes privées ont le droit de prendre des photos de l’Atomium, de les mettre sur les réseaux sociaux, etc. En revanche, le droit d’auteur s’applique lorsque les photos sont utilisées à des fins commerciales”.
Attention cette distinction est propre à l’Atomium.
Sans indication dans le même sens des ayants droit d’autres monuments, vous ne pouvez a priori, même à des fins non commerciales, publier sur Facebook ou tout autre moyen “public” des photographies de monuments encore protégés par le droit d’auteur, dès lors que, finalité commerciale ou non, il s’agirait néanmoins d’une communication au public (qui fait partie des prérogatives exclusives de l’auteur).
On ne tombe pas, dans ce cas là, dans l’exception d’ “exécution gratuite et privée effectuée dans le cercle de famille” au sens de l’article XI.190, 3°, du Code de droit économique, dès lors qu’il est douteux que Facebook puisse être assimilé au “cercle de famille” (bien que, au cas par cas, cela puisse se discuter ; voyez ici).
Une exception spécifique à ce qui précède mérite d’être mentionnée, celle prévue à l’article XI.190, 2°, du Code de droit économique :
“Lorsque l’oeuvre a été licitement publiée, l’auteur ne peut interdire : (…) la reproduction et la communication au public de l’œuvre exposée dans un lieu accessible au public, lorsque le but de la reproduction ou de la communication au public n’est pas l’œuvre elle-même”.
Cette exception a notamment été instaurée pour permettre à un monument public, encore protégé par le droit d’auteur, d’apparaître dans un film ou dans une série TV, comme élément accessoire du décor par exemple (cf. Alain Berenboom, Le nouveau droit d’auteur et les droits voisins, 4e éd., Bruxelles, Larcier, 2008, p. 174).
Le site du SPF Economie, qui inclut cette exception dans les exceptions au droit d’auteur en faveur de l’information, donne un autre exemple : celui d’une photo d’une course cycliste où apparait en arrière-plan une sculpture protégée par le droit d’auteur.
Ceci dit, vu le caractère informationnel de cette exception, la situation ne serait, à mon sens, pas identique pour un selfie réalisé devant une œuvre exposée publiquement et protégée par le droit d’auteur ; car, dans ce cas-là, l’intention de l’auteur du selfie est bel et bien de se photographier devant l’œuvre en question et d’ensuite communiquer cette reproduction au public.
Dans l’hypothèse d’un selfie, il me semble donc délicat de plaider que le but de la photo n’est pas l’œuvre elle-même. L’œuvre elle-même est au moins aussi importante que le sujet pris devant le monument. Mais, évidemment, cela se discute. Les deux thèses peuvent se plaider. J’attire également votre attention sur le fait que Facebook peut réutiliser les photos (et donc les selfies pris devant les monuments par ses utilisateurs) à des fins commerciales.
Soyez donc prudents lorsque vous publiez, sur les réseaux sociaux, des photos de monuments qui sont encore protégés par le droit d’auteur et/ou des selfies devant de tels monuments. En tout cas, la prudence s’impose aussi longtemps que la liberté de panorama n’est pas adoptée par le législateur !
Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles