Absence d’originalité de photos culinaires

Comme je vous le répète souvent, et j’en ai même fait un article, toutes les photos ne sont pas protégées par le droit d’auteur.
Seules les photos originales peuvent bénéficier de la protection par le droit d’auteur.
C’est, en substance, ce qu’a rappelé le Tribunal judiciaire de Rennes dans un jugement du 31 mars 2025 (RG n° 23/05205).
Le contexte
Les faits ayant mené à cette affaire peuvent être résumés de la façon suivante.
Un pêcheur artisanal met en ligne, sur son site internet, deux photos :
- l’une représentant un plat de rougets cuisinés ;
- l’autre représentant une limande entière.
Une société exploitant une banque de photos culinaires constate la présence de ces deux photos sur le site du pêcheur, et lui écrit pour le mettre en demeure de cesser cette diffusion et de payer une indemnisation.
Longtemps après (plus d’un an), la société exploitant la banque de photos culinaires assigne le pêcheur devant le Tribunal judiciaire de Rennes (ci-après : « le tribunal »), pour contrefaçon de droits d’auteur et parasitisme.
Le raisonnement et le jugement du tribunal
La charge de la preuve
Le tribunal commence par rappeler que la charge de la preuve de la protection par le droit d’auteur pèse sur la personne qui invoque cette protection.
En l’occurence, c’est la banque de photos culinaires qui revendique la protection par le droit d’auteur.
C’est donc elle qui doit « rapporter la preuve de l’originalité des photographies litigieuses étant précisé qu’en la matière, il est exigé la démonstration de choix libres et créatifs, non imposés ».
Le tribunal examine ensuite les deux photos en litige.
L’examen de la première photo
Selon le tribunal, « la première photographie litigieuse représente deux rougets entiers cuisinés avec des oignons et tomates cerise dans un plat blanc posé sur un plateau en fer, légèrement abîmé, lui-même posé sur un plan de travail clair avec, en arrière-plan, un mur clair qui semble composé de lattes de bois ».
Pour le tribunal, il n’y a là que du très classique, neutre et banal :
« Le plat ainsi photographié est un plat traditionnel de la cuisine provençale, présenté dans un récipient tout à fait classique. Le cadrage et l’angle choisis ne traduisent pas d’autre impératif que celui de présenter le plat et ses ingrédients dans leur ensemble. Le fond choisi, tant le plan de travail que le mur, est tout à fait neutre et banal. En réalité, les choix opérés par l’auteur de ce cliché ne répondent à aucun autre objectif que de présenter un plat régional classique, sans révéler de choix libres et créatifs ».
Le tribunal en déduit que l’originalité de cette photo n’est pas établie.
L’examen de la seconde photo
Le tribunal constate que la seconde photo est constituée d’un poisson (une limande) présenté sur sa face dorsale et sur fond blanc.
Le tribunal relève l’absence de toute mise en scène du poisson photographié.
En clair : le poisson est photographié à l’état brut, tel quel, sur sa face dorsale.
Le tribunal poursuit en indiquant que le cadrage et la lumière ne présentent rien de particulier : ils visent seulement à « présenter ce poisson dans son ensemble, le plus naturellement et fidèlement possible ».
Le tribunal ne perçoit « aucun choix créatif susceptible de refléter la personnalité » du photographe.
Le tribunal en déduit que l’originalité de cette photo n’est pas non plus établie.
Absence de contrefaçon de droits d’auteur
Le tribunal conclut que « faute d’originalité, les deux clichés litigieux ne peuvent pas bénéficier de la protection au titre du droit d’auteur ».
Par conséquent, toutes les demandes fondées sur la contrefaçon de droits d’auteur doivent être rejetées.
Parasitisme
La société exploitant la banque de photos culinaires reprochait également au pêcheur des actes de parasitisme.
Je n’entre pas ici dans tous les détails du parasitisme car ce fondement n’a que peu d’écho en droit belge, notamment suite à l’arrêt Noël Marquet de la Cour de cassation (C.06.0139.N).
Cela dit, il est intéressant de noter que le tribunal rejette les accusations de parasitisme, entre autres au motif que les deux photos culinaires en litige sont très banales :
« Ces photographies étant très banales, le fait de les avoir diffusées, pendant quelques mois, sans avoir vérifié qu’elles n’étaient pas libres de droit ne peut pas être considéré comme fautif ».
Conclusion
Cette affaire fait, à mon sens, une bonne application des principes.
Si vous recevez une mise en demeure pour une (prétendue) utilisation illicite d’une photo, interrogez-vous sur l’originalité de celle-ci. Et vérifiez aussi si la personne qui vous met en demeure justifie l’originalité. Si tel n’est pas le cas, il faut l’interpeller sur ce sujet.
Il y a, par ailleurs, d’autres éléments à vérifier lorsque vous recevez une telle mise en demeure.
A ce sujet, je vous renvoie notamment à mon article Mise en demeure pour l’utilisation de photos (droit d’auteur)
N’hésitez pas non plus à consulter un avocat qui pourra analyser la situation et vous conseiller sur la meilleure manière de vous positionner quant à une telle mise en demeure.
Et si le thème des créations culinaires vous intéresse, je vous renvoie à mon article La protection des créations culinaires par la propriété intellectuelle

Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles