Aménagement intérieur et protection par le droit d’auteur

Image par Rudy and Peter Skitterians de Pixabay

Je vous ai déjà parlé à de multiples reprises de la protection par le droit d’auteur des architectes et de leurs oeuvres architecturales (plans, maquettes, bâtiments, etc.).

Je vous renvoie sur tous ces sujets aux articles suivants :

Mais qu’en est-il de l’architecture d’intérieur et de la décoration d’intérieur ?

Les architectes d’intérieur sont-ils également protégés par le droit d’auteur ?

C’est sur ce sujet que je vous propose de nous étendre aujourd’hui.

En réalité, il n’existe aucune raison de traiter différemment les architectes et les architectes d’intérieur.

Si l’architecte d’intérieur réalise un aménagement original (c’est-à-dire qui est marqué de sa touche personnelle ; qui est sa création intellectuelle propre), cet aménagement (le produit fini qui sera réalisé et/ou installé) est susceptible de protection par le droit d’auteur.

De même, si l’architecte d’intérieur réalise des plans, des dessins, des croquis, des ébauches, des maquettes ou toute autre forme de travail préparatoire tangible, et que l’originalité est présente, cet architecte d’intérieur jouit d’une protection par le droit d’auteur sur tous ces éléments, et ceux-ci ne pourront pas être librement utilisés sans son autorisation.

La Convention de Berne protège tout travail architectural entendu au sens large, ainsi que les plans, croquis et dessins au sens large également, de sorte qu’il n’existe aucune raison objective de distinguer entre un architecte au sens strict du terme et un architecte d’intérieur, un décorateur d’intérieur ou un ensemblier-décorateur.

Les décorateurs de cinéma, d’oeuvres télévisuelles ou de théâtre sont d’ailleurs parfaitement éligibles à la protection par le droit d’auteur (s’ils font oeuvre originale, c’est-à-dire création intellectuelle propre). On ne perçoit pas en quoi la finalité du décor ou de l’aménagement intérieur (cinéma, télévision, théâtre vs. maison d’un particulier, bureaux ou autres) justifierait de discriminer les décorateurs entre eux, et ferait que seuls les décorateurs de cinéma, d’oeuvres télévisuelles ou de théâtre pourraient bénéficier de la protection par le droit d’auteur.

L’analogie avec les créateurs de vêtements est également intéressante. Il n’y a pas que les costumiers dans le contexte cinématographique, audiovisuel ou théâtral qui peuvent revendiquer des droits d’auteur sur leurs créations vestimentaires. Les stylistes et autres créateurs de vêtements destinés à la vente, même dans le contexte de la grande distribution, sont éligibles à la protection (s’ils ont fait oeuvre originale).

On se rappellera que des uniformes professionnels ont été jugés originaux (parka et blouson d’été de policiers), dans une affaire opposant l’Etat belge à un créateur d’uniformes évincé d’un appel d’offres. Les vêtements à finalité professionnelle ou utilitaire sont donc valablement susceptibles de protection – et non pas seulement les costumes, les déguisements ou les vêtements de haute couture. La finalité d’une oeuvre n’est pas discriminante du point de vue du droit d’auteur.

Dans un arrêt du 23 février 2001, la cour d’appel de Bruxelles a d’ailleurs admis la protection par le droit d’auteur de l’aménagement intérieur d’un magasin-restaurant, au motif que la décoration particulière des lieux et l’utilisation des espaces reflètent le travail créatif propre à l’architecte d’intérieur et est marqué de son empreinte personnelle.

La cour souligne également, et c’est intéressant, que même s’agissant des meubles et des éléments de mobilier que l’architecte d’intérieur n’a pas créés ni dessinés lui-même, la sélection de ceux-ci et l’agencement de ceux-ci par cet architecte constitue une oeuvre susceptible de protection par le droit d’auteur. Ainsi, selon la cour, la réunion originale d’éléments qui ne le sont pas en tant que tels et/ou qui n’émanent pas de l’architecte d’intérieur peut être considérée comme une oeuvre au sens du droit d’auteur.

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Donc, oui, les architectes d’intérieur, les décorateurs et autres ensembliers-décorateurs peuvent jouir et revendiquer des droits d’auteur sur leurs créations (l’aménagement d’intérieur en tant que tel, les plans, les croquis, les ébauches, les maquettes et tout le travail préparatoire), à condition que ces créations soient originales.

L’originalité pourra être décelée dans la décoration particulière des lieux, le choix des couleurs, le choix des matières (revêtement de sol, murs et autres) ; dans le choix et la combinaison des meubles et autres objets mobiliers, et/ou dans leur création ; dans l’utilisation des espaces et/ou leur aménagement ; dans les jeux de lumières ; et dans beaucoup d’autres choses encore.

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles