Exception au droit d’auteur : la liberté de panorama consacrée en Belgique

Je vous parlais de la liberté de panorama dans mon article intitulé Droit d’auteur et monuments situés sur la voie publique.

Eh bien nous y sommes : la liberté de panorama vient d’être consacrée en droit belge par la loi du 27 juin 2016 modifiant le Code de droit économique en vue de l’introduction de la liberté de panorama.

Cette loi est entrée en vigueur le 15 juillet 2016.

C’est l’occasion de faire le point sur cette question intéressante.

Liberté de panorama, kézako ?

Comme je l’expliquais ici, la liberté de panorama c’est, en substance, la liberté de prendre des photos de monuments situés sur la voie publique dont l’architecture est encore protégée par le droit d’auteur, et de les publier ensuite sur internet ou de les communiquer à un public au-delà de la sphère privée.

Liberté de panorama, c’était quoi le problème ?

Même s’ils sont situés sur la voie publique et accessibles librement au public, les monuments, lorsqu’ils sont (encore) protégés par le droit d’auteur, ne peuvent pas être “reproduits au public” (en réalité : reproduits puis communiqués au public).

Pour prendre un exemple concret : si vous prenez une photo d’un monument situé sur la voie publique et que vous publiez ensuite cette photo sur votre blog, sans l’autorisation préalable du titulaire des droits d’auteur sur ce monument, vous vous exposez à des poursuites judiciaires.

Certains ont donc considéré que le droit d’auteur entrait, dans ce cas-là, en conflit avec le droit de chacun de prendre des photographies de l’espace public. C’est précisément en ce sens que les auteurs de la loi du 27 juin 2016 se sont situés pour justifier l’instauration, en droit belge, de la liberté de panorama :

“D’une part, nous partons du principe que la liberté de l’individu de prendre des photos doit être respectée dans l’espace public.

D’autre part, le but des auteurs qui ont réalisé une œuvre d’art plastique, graphique ou architectural afin de l’exposer de manière permanente dans l’espace public ne peut être de limiter la liberté de l’individu de prendre des photos dudit espace dont font partie ces œuvres. La présente proposition de loi vise dès lors à introduire la liberté de panorama dans le droit d’auteur belge” (Proposition de loi du 26 novembre 2015, Doc. 54-1484/001, p. 3).

La liberté de panorama à la belge (art. XI.190, 2/1°, du Code de droit économique)

La loi du 27 juin 2016 modifiant le Code de droit économique en vue de l’introduction de la liberté de panorama a inséré un nouvel alinéa 2/1° à l’article XI.190 du Code de droit économique, lequel prévoit que :

“Lorsque l’oeuvre a été licitement publiée, l’auteur ne peut interdire :

2/1° la reproduction et la communication au public d’oeuvres d’art plastique, graphique ou architectural destinées à être placées de façon permanente dans des lieux publics, pour autant qu’il s’agisse de la reproduction ou de la communication de l’oeuvre telle qu’elle s’y trouve et que cette reproduction ou communication ne porte pas atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre ni ne cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur”.

Analyse

Quatre éléments essentiels peuvent être dégagés de cet article XI.190, al. 2/1°.

1.      La liberté de panorama s’applique, non seulement aux monuments situés sur la voie publique, mais bien plus largement à toutes les oeuvres d’art plastique, graphique ou architectural placées dans un lieu public.

La volonté du législateur est d’englober, de façon large, les oeuvres tombant sous le coup de la liberté de panorama.

2.     Par contre, la liberté de panorama est limitée aux oeuvres qui sont destinées à être placées de façon permanente dans un lieu public.

Les oeuvres provisoirement exposées dans un lieu public sont donc exclues (et, pour celles-ci, l’autorisation de l’auteur reste nécessaire).

3.     La liberté de panorama permet de reproduire (par ex. photographier) et de communiquer au public (par ex. publier sur internet) les oeuvres placées de façon permanente dans un lieu public, mais cette reproduction et cette communication au public ne peuvent pas porter atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre ni porter un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur. Ce qui semble visé ici c’est – entre autres – l’interdiction d’utiliser, sous couvert de la liberté de panorama, la photographie d’une oeuvre placée dans un lieu public à des fins commerciales.

En effet, un amendement avait été proposé, visant à exclure expressément tout usage commercial du champ d’application de la liberté de panorma (Doc. 54-1484/004) :

“Art. 2

Compléter le 2/1° proposé par les mots : “et à l’exclusion de tout usage à caractère directement ou indirectement commercial.”.

JUSTIFICATION

Le présent amendement vise à préserver un juste équilibre entre l’objectif de la proposition de loi et les droits légitimes des auteurs. La reproduction d’oeuvres architecturales sur les réseaux sociaux est ainsi permise mais l’exploitation commerciale éventuelle reste soumise à l’autorisation de l’auteur de l’oeuvre.

Sans un tel amendement, la proposition permettrait une exploitation des oeuvres “sur le dos des auteurs”, ce qui irait à l’encontre de toute philosophie défendue par la législation sur les droits d’auteur”.

Or, l’un des auteurs dela proposition de loi, Patricia Ceysens, a rejeté cet amendement – le jugeant surpeflu – au motif que l’usage commercial était déjà exclu par la référence à l’impossibilité de porter atteinte, via la liberté de panorama, à l’exploitation normale de l’oeuvre ou de porter préjudice injustifié aux intérêts légitime de l’auteur (Doc. 54-1484/005) :

“Mme Patricia Ceysens (Open VLD) rétorque pour sa part que la proposition de loi prévoit explicitement et littéralement que la reproduction autorisée “… ne peut porter atteinte à l’exploitation normale de l’oeuvre et ne peut causer un préjudice injustifi é aux intérêts légitimes de l’auteur”. Par conséquent, la situation visée par l’amendement est totalement couverte par le texte de la proposition de loi, ce qui rend l’amendement superflu”.

Il faut donc considérer à la lumière des travaux préparatoires et de l’intention du législateur que l’exception dite de liberté de panorama reste cantonnée à la sphère non-commerciale.

4.     On peut se demander ce qu’il en est des photos de personnes prises devant ou en présence de l’oeuvre. Les selfies en constituent un bon exemple.

Ces photos tombent-elles dans le champ d’application de la liberté de panorama ?

Rien n’est moins sûr au vu de la précision, dans l’article XI.190, al. 2/1°, selon laquelle la liberté de panorama est admise “pour autant qu’il s’agisse de la reproduction ou de la communication de l’oeuvre telle qu’elle s’y trouve(je souligne).

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles