Idées fausses sur le droit d’auteur
En ma qualité d’avocat en droit d’auteur, je suis souvent interrogé par des clients, amis, connaissances, sur le droit d’auteur. Et je constate que de nombreuses idées fausses circulent à ce sujet.
Il m’a donc semblé pertinent de ramasser ces idées fausses récurrentes, et de les rectifier systématiquement et de façon pédagogique.
Pour être protégé par le droit d’auteur, il faut déposer ou enregistrer son œuvre, prendre un copyright…
En droit belge, le droit d’auteur naît sans formalité (contrairement aux autres droits intellectuels, à l’instar notamment des marques et des brevets).
Dès qu’une œuvre (originale) est créée, c’est-à-dire dès qu’elle est mise en forme et existe sous une forme tangible, elle est jouit automatiquement de la protection par le droit d’auteur.
Ainsi, par exemple, vous commencez à écrire un livre. Ce que vous avez commencé à écrire (même si c’est loin d’être abouti) est protégé (pour autant que ce début d’écrit soit original, c’est-à-dire qu’il soit le résultat de vos choix libres et créatifs).
Pas besoin de dépôt, d’enregistrement, ou de copyright.
Après, mais c’est une autre question, reste la question de la preuve : pour pouvoir prouver que vous êtes l’auteur de votre œuvre, il peut être bon de la déposer ou de l’enregistrer (via, par exemple, l’I-Depot de l’Office Benelux de la Propriété Intellectuelle, ou via des sites privés qui proposent ce type de services).
Mais de tels dépôts ou enregistrements sont uniquement utiles pour prouver votre création et la date de votre création. Rien de plus. Ce qui veut, concrètement, dire que si vous n’effectuez pas de tels dépôts ou enregistrements, vous pouvez quand même prouver autrement votre droit d’auteur (par ex. via les e-mails envoyés à votre éditeur ; via des courriers dans lesquels vous discutez de votre œuvre avec vos partenaires ; via des manuscrits datés ; etc.).
Qu’on se le dise donc : une œuvre est protégée dès le jour de sa création ; sans qu’il soit besoin d’effectuer un dépôt, un enregistrement, ou une autre formalité.
Il peut, par contre, se révéler utile d’ajouter la mention (c) ou © suivi ou précédé de son nom et, éventuellement, d’une date, sur son œuvre (à ce propos, voyez ici).
Je suis le premier a avoir eu l’idée, c’est donc moi l’auteur
Vous êtes le premier à avoir une idée, c’est fort bien, mais cela ne vous garantit pas de droit d’auteur.
En effet, il est constant que le droit d’auteur ne protège pas les simples idées, même les meilleures ou les plus “originales”.
Pour pouvoir bénéficier d’une protection par le droit d’auteur, il faut que votre idée soit mise en forme (un début de mise en forme peut suffire).
Ainsi, pour vous donner un exemple, si vous avez l’idée d’écrire un roman sur un monde imaginaire parallèle, vous ne jouirez d’aucune protection. Vous ne jouirez d’une protection qu’à partir du moment où vous aurez (au moins) un peu décrit la trame de ce roman, les personnages (par ex. les peuples de ce monde parallèle imaginaire), l’intrigue, etc. Et, à condition, bien sûr, que ces éléments soient originaux.
Dans un tout autre registre, mais cela procède des mêmes principes, si vous avez l’idée de créer une super application mobile révolutionnaire, qui permettrait telles ou telles fonctionnalités, cette idée d’application n’est pas protégeable par le droit d’auteur. Ce sera seulement la réalisation concrète de cette application qui pourra éventuellement être protégée (par ex. le code de l’application, l’apparence graphique de l’application, etc.).
La distinction entre l’idée (non-protégeable) et la mise en forme (protégeable) est complexe, mais elle sous-tend tout le système du droit d’auteur. Je vous invite donc à consulter un professionnel du droit d’auteur, lorsque vous débutez un projet et que vous vous posez des questions sur cette distinction.
Conseil pratique : en cas de doute et avant d’avoir consulté un professionnel, ne parlez pas de votre ‘idée’ autour de vous.
Je peux protéger mes résultats de recherche (scientifique ou autre) via le droit d’auteur
Cette idée est également très répandue, mais elle est archi-fausse !
Le droit d’auteur protège les œuvres, mais pas les découvertes, les inventions, les résultats de recherche…
En effet, l’objet du droit d’auteur est de protéger les créations (artistiques et littéraires) originales. Or, les résultats de recherche ne sont pas des “créations”, mais le fruit d’un travail de recherche, d’observation… Un tel travail de recherche ou d’observation demande certes des efforts et beaucoup de labeur, mais tel n’est pas le critère de protection du droit d’auteur (d’ailleurs, une œuvre créée sans effort est protégeable par le droit d’auteur).
Par conséquent, dès lors que les résultats de recherche ne sont pas des créations, a fortiori artistiques ou littéraires, et qu’en plus ces résultats sont directement dictés par la science, toute protection par le droit d’auteur est exclue.
Bien sûr, il est possible de formaliser ces résultats de recherche dans un article scientifique. Et cet article scientifique sera une “œuvre littéraire” protégeable par le droit d’auteur. Mais la protection accordée par le droit d’auteur à cet article scientifique ne s’étendra qu’à la forme de cet article (structure, manière dont les phrases sont rédigées, enchaînements entre les idées…), et non au contenu de cet article ! Les résultats de recherche, en tant que tels, ne seront donc pas protégés par le droit d’auteur. Comme je l’écrivais ici :
“Si le chercheur A écrit un article sur le sujet X :
- le chercheur B peut écrire un autre article sur le même sujet X ;
- le chercheur B peut même écrire un article sur le sujet X en reprenant toutes les idées, toutes les découvertes et toutes les expériences que le chercheur A a décrites dans son article ;
Ce que ne peut pas faire le chercheur B, c’est :
- reprendre la mise en forme du chercheur A (c’est-à-dire la manière dont le chercheur A a formulé ou structuré son article) ;
- recopier (des passages de) l’article du chercheur A, fût-ce quelques phrases ;
- plagier le chercheur A.
Sauf, bien entendu, si la mise en forme du chercheur A et/ou la formulation utilisée par celui-ci ne sont pas originales”.
A propos des idées fausses en matière de propriété intellectuelle et de science, voyez également ici.
Une œuvre créée par un employé appartient automatiquement à l’employeur
J’ai déjà eu l’occasion de le dire et le redire : ce n’est pas parce qu’un employé créée une œuvre (par ex. un article, un logo, un dessin…) dans le cadre de sa mission ou de son contrat de travail, que les droits d’auteur sur cette œuvre appartiennent directement ou automatiquement à son employeur.
Pour que les droits d’auteur appartiennent à l’employeur, il faut que ceux-ci lui aient été cédés par écrit (que ce soit via le contrat de travail, via un un autre contrat, ou via toute autre forme d’écrit).
Mais si l’employeur et l’employé n’ont rien prévu, par écrit, les droits d’auteur restent la propriété de l’employé…
Il existe certaines exceptions à ce qui précède (par ex. en matière de programmes d’ordinateur).
Je peux télécharger autant d’œuvres qu’il me plait sur Internet, tant que c’est pour mon usage privé
Cette idée est fermement ancrée dans l’esprit des internautes.
Elle est pourtant (en grande partie) fausse, car elle repose sur interprétation erronée de l’exception de copie privée.
La copie privée ne permet pas tout… et elle n’est certainement pas destinée à légaliser le téléchargement illégal.
Comme je l’écrivais déjà ici :
- L’exception de copie privée ne s’applique qu’aux reproductions de source licite ;
- Dès lors, sauf à pouvoir prouver la licéité de la source (ce qui est difficile sur Internet), le téléchargement en ligne s’apparentera systématiquement à une reproduction nécessitant l’autorisation de l’auteur.
Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles