Idéfix, originalité et droit d’auteur

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Le tribunal judiciaire de Marseille vient de prononcer une décision relative à la protection par le droit d’auteur d’Idéfix, le compagnon d’Obélix, créé par Goscinny et Uderzo.

La décision peut être consultée ici.

Précisons d’emblée que le tribunal s’est prononcé sur le dessin d’Idéfix ou, pour le dire autrement, sa représentation graphique.

Le tribunal a retenu l’originalité et donc la protection par le droit d’auteur :

« Ce personnage se caractérise par des choix esthétiques non contraints tels que ses longues moustaches, de courtes pattes, le bout des oreilles et la queue d’une couleur différente du reste du corps, des yeux et sourcils particulièrement expressifs. Il possède un caractère propre, ce qui en fait un personnage à part entière des Aventures d’[D] ».

Mais ce qui ne manque pas de surprendre, c’est la suite du raisonnement, et notamment les motifs décisoires suivants :

« Son rôle prépondérant au sein des albums des Aventures d’[D] a permis de développer sa notoriété, [A] étant devenu une figure emblématique de l’univers culturel au XXème siècle qui n’est pas limité au territoire national ».

« A cet égard, il n’est pas inutile de rappeler que l’office des marques de l’Union européenne a également reconnu en 2020 la renommée du personnage d’[A], en observant qu’il était issu de la bande dessinée les Aventures d’[D], qui ‘a donné lieu à un très grand nombre de numéros’, et dont les personnages, y compris celui du chien, sont ‘connus d’autant plus que la bande dessinée a été déclinée en films à succès’ » (je souligne et mets en évidence).

On peine à comprendre ce que viennent faire des considérations relatives à la notoriété et à la renommée d’un personnage (qui sont des critères pertinents en droit des marques), dans le cadre de l’examen de l’originalité (qui conditionne la protection par le droit d’auteur).

En effet, une oeuvre tout à fait confidentielle peut très bien être originale et donc protégée par le droit d’auteur. A l’inverse, un objet très connu peut être dénué d’originalité. Il n’y a donc, a priori, aucun lien entre la notoriété/la renommée, d’une part, et l’originalité, d’autre part.

Comme je l’ai écrit dans Le droit d’auteur en questions (pp. 233-234) :

« Il est indifférent que l’oeuvre ait rencontré un grand succès ; car, finalement, une oeuvre à grand succès peut être contrainte, dénuée de nouveauté et/ou banale ».

« Ce n’est pas parce qu’une oeuvre jouit d’une notoriété importante auprès du public (que ce soit une oeuvre d’art unique qui fait l’objet d’une couverture médiatique importante, ou un objet utilitaire qui fait l’objet d’une commercialisation de masse) qu’elle est ipso facto originale au sens du droit d’auteur ».

Ensuite, et peut-être même surtout, il y a l’arrêt Brompton (C‑833/18). Au §37 de cet arrêt, la CJUE a dit pour droit qu’aux fins d’apprécier l’originalité, « il revient à la juridiction de renvoi de tenir compte de tous les éléments pertinents du cas d’espèce, tels qu’ils existaient lors de la conception [de l’oeuvre], indépendamment des facteurs extérieurs et ultérieurs à la création [de l’oeuvre] ».

Or, la notoriété et la renommée d’une oeuvre sont des « facteurs extérieurs et ultérieurs » à la création.

La notoriété et la renommée ne peuvent donc pas être prises en compte dans le cadre de l’examen de l’originalité.

La décision du tribunal judiciaire de Marseille est, dès lors, très surprenante de ce point de vue et, à mon sens, erronée en droit car contraire à l’arrêt Brompton de la CJUE.

A propos du §37 de l’arrêt Brompton, je vous renvoie également à mon article Le moment où s’apprécie l’originalité en droit d’auteur.

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles