La Bible est-elle encore protégeable par le droit d’auteur?
En ce jour de Noël me revient une petite anecdote à l’esprit qui touche à la fois au champ religieux et au droit d’auteur.
Alors que j’étais étudiant en voie de spécialisation en propriété intellectuelle (MaNaMa Intellectuele Rechten à la KUB), j’assistais en mars 2011 à un séminaire de “techniques contractuelles et diagnostic juridique”.
Dans le cadre de ce séminaire, l’intervenant nous avait donné un contrat de sous-édition à analyser. Ce contrat portait sur l’édition de la Bible.
Très consciencieusement, je revois ce contrat et rédige un rapport de diagnostic juridique, critiquant certaines clauses, en modifiant d’autres et en ajoutant quelques unes.
Assez content de mon travail, j’envoie mon beau rapport à l’intervenant…
Et pourtant, à l’époque, la première question – la plus fondamentale ! – à se poser, ne m’est même pas venue à l’esprit: la Bible qui fait l’objet de ce contrat de sous-édition est-elle encore susceptible de protection (notamment par le droit d’auteur)?
Or, si la réponse à cette question est négative, le contrat de sous-édition n’a aucun objet.
En effet, si la Bible n’est plus protégée par le droit d’auteur, il n’y a pas lieu à cession d’un quelconque droit d’édition (le droit d’édition étant l’une des composantes du droit d’auteur).
En relisant, le rapport récapitulatif que j’ai rédigé à l’issue de toutes les séances, je vois que j’avais résumé la problématique comme suit:
“Le point essentiel était, évidemment, de savoir si la Bible de Jéricho était ou non encore protégeable. Je n’avais pas indiqué cette remarque dans mon rapport préalable, bien que j’y avais songé un instant, car à partir du moment où l’œuvre n’était plus protégeable, le contrat ne servait, selon moi, à rien. Cependant, l’intervenant fut très loquace à ce propos. En effet, il expliqua que les bibles pouvaient jouir d’une très longue protection parce que les éditeurs revoient régulièrement la traduction, rajoutent des nuances, des notes de bas de page… Le lecteur ne s’en rend pas toujours compte, mais les éditeurs peuvent ainsi continuer de jouir d’une protection, au-delà de la durée légale, alors que ces textes sacrés remontent à plusieurs millénaires. C’est très fréquent, selon l’intervenant”.
Voilà donc l’explication:
- Les textes sacrés, comme la Bible, ne sont plus protégés de nos jours car leur(s) auteur(s) est/sont mort(s) il y a plus de 70 ans (or, on le sait, la durée légale de protection par le droit d’auteur est de 70 ans après la mort de l’auteur); cela veut dire concrètement que ces textes sacrés appartiennent au domaine public et que tout le monde peut les publier, les éditer, en reprendre des extraits, ou même en faire ce qu’il veut, et ce librement et gratuitement!
- Mais si quelqu’un modifie ce texte, en créée une nouvelle version, en donne une nouvelle traduction, ou y ajoute des commentaires (par ex. La bible commentée), le texte dans sa nouvelle version, dans sa nouvelle traduction, dans sa version commentée… est susceptible de protection – et ce jusqu’à 70 ans après la mort de l’auteur de la nouvelle version, de la nouvelle traduction, des commentaires…
La nuance est importante. Je peux publier le texte de la Bible librement et gratuitement. Mais je ne peux pas “plagier” la nouvelle version faite par un autre éditeur, la nouvelle traduction réalisée par un autre éditeur ou la version commentée par tel ou tel historien (pour autant que cette nouvelle version, cette nouvelle traduction ou cette version commentée est originale).
La protection de l’oeuvre secondaire (la nouvelle version, la nouvelle traduction ou la version commentée) est cependant limitée, dans la mesure où :
- elle ne permet pas d’interdire l’édition libre et gratuite de ce qui appartient au domaine public (i.e. le texte ou l’histoire originaire reprise dans la Bible car ce texte ou cette histoire appartient au domaine public);
- elle permet seulement d’empêcher la reprise des éléments originaux de l’oeuvre secondaire (i.e. les éléments originaux de la nouvelle version, de la nouvelle version ou de la version commentée).
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Comme on le voit, le droit d’auteur – qui a parfois l’apparence d’être simple – est une matière pleine de nuances, où tout n’est pas si évident.
Mais c’est également cela qui est intéressant pour un avocat en droit d’auteur.
Je vous laisse méditer à tout ceci et vous souhaite un très Joyeux Noël!
Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles