Le ballon UEFA n’est pas protégeable par le droit d’auteur américain
Introduction
Je vous propose de rester dans le domaine du sport, après avoir récemment évoqué:
- la protection des matchs de football par le droit d’auteur,
- le cas Federer et son logo RF à l’aune du droit des marques, et
- le cas Lionel Messi confronté à une marque antérieure Massi,
Et attardons-nous aujourd’hui le logo de l’UEFA (Union of European Football Associations) représenté ci-après :
Il s’agit du logo utilisé par l’UEFA pour sa célèbre compétition “Champions League”.
Dans une décision intéressante du 30 juillet 2018, le Review Board of the United States Copyright Office a refusé la protection par le droit d’auteur à ce logo constitué d’un ballon en étoiles (le fameux “starball”).
Mais comment en est-on arrivé là?
Pour le comprendre, intéressons-nous au raisonnement du Review Board of the United States Copyright Office (ci-après : le Review Board).
Les principes juridiques applicables en matière de copyright
Le Review Board commence par rappeler les principes juridiques applicables en matière de copyright. Pour qu’une oeuvre puisse être protégée par le copyright il faut qu’elle soit originale, c’est-à-dire (i) qu’elle constitue une création indépendante et (ii) qu’elle qu’elle témoigne d’une créativité suffisante.
Création indépendante signifie que l’oeuvre ne doit pas avoir copié une oeuvre antérieure.
Créativité suffisante signifie que l’oeuvre doit passer un certain seuil de créativité (un seul de créativité de minimis), ce qui n’est par exemple pas le cas, nous dit le Review Board, d’un annuaire de téléphone. Le Review Board exclut également les oeuvres dont l’aspect prétendument créatif est trivial ou évident.
A propos des combinaisons d’éléments communs, standards ou banals, le Review Board explique que ces combinaisons peuvent manifester une créativité suffisante dans la façon dont sont juxtaposés ou organisés leurs éléments constitutifs (fussent-ils banals ou bien connus). Mais a contrario il n’est pas exact de penser et de soutenir que toutes les combinaisons, quelles qu’elle soient, peuvent être considérées comme suffisamment créatives du seul fait qu’il s’agit de combinaisons. Il faut vraiment examiner l’aspect sélection, coordination et/ou organisation des éléments constitutifs de la combinaison pour déterminer si cette sélection, cette coordination et/ou cette organisation peu(ven)t témoigner d’une créativité suffisante et donc conduire à une conclusion d’originalité. Pour citer quelques passages de la décision du Review Board en ce sens (p. 3):
- “Nevertheless, not every combination or arrangement will be sufficient to meet this test. See Feist, 499 U.S. at 358 (finding the Copyright Act “implies that some ‘ways’ [of selecting, coordinating, or arranging uncopyrightable material] will trigger copyright, but that others will not”). A determination of copyrightability in the combination of standard design elements depends on whether the selection, coordination, or arrangement is done in such a way as to result in copyrightable authorship. Id.; see also Atari Games Corp. v. Oman, 888 F.2d 878 (D.C. Cir. 1989)”.
- “A mere simplistic arrangement of non-protectable elements does not demonstrate the level of creativity necessary to warrant protection”.
- “It is true, of course, that a combination of unprotectable elements may qualify for copyright protection. But it is not true that any combination of unprotectable elements automatically qualifies for copyright protection”.
Application de ces principes au cas d’espèce et décision du Review Board
Le Review Board estime que l’oeuvre qui lui est soumise et dont il lui revient d’apprécier le caractère protégeable ou non par le copyright est constituée d’étoiles noires qui créent une impression de polygones blancs dans les espaces vides laissés entre les étoiles noires.
Selon le Review Board, les étoiles en question sont banales. Par ailleurs, les étoiles sont des formes géométriques banales ou basiques. Les étoiles dans l’oeuvre à examiner ne se distinguent pas de la forme que revêt une étoile de base. Les étoiles dans l’oeuvre à examiner correspondent en tous points aux définitions que l’on retrouve dans les dictionnaires pour le terme étoile. Le fait que les étoiles dans l’oeuvre à examiner seraient quelque peu incurvées n’y change rien; ces étoiles restent en effet des formes géométriques de base et correspondent aux définitions du dictionnaire.
Quant aux polygones créés par les espaces vides (blancs) laissés entre les étoiles sont, ces polygones sont eux aussi, des formes géométriques de base, qui ne produisent aucun effet ou résultat créatif particulier en l’espèce.
L’impression globale créée par les étoiles (basiques et banales) et les polygones (eux aussi basiques et banals) n’apporte pas une touche créative d’ensemble suffisante.
L’impression d’ensemble est, selon le Review Board, un dessin qui n’est pas suffisamment créatif pour être original.
Le nombre d’étoiles et de polygones importe peu selon le Review Board (l’UEFA semblant argumenter qu’il y avait un très grand nombres d’éléments combinés, et que ce grand nombre devait permettre de conclure à une combinaison originale). Pour le Review Board, à partir du moment où les étoiles noires et les polygones blancs sont, en tant que tels, non protégeables par le droit d’auteur, leur nombre importe peu… ce qui compte c’est la façon dont ils sont agencés et l’impression de combinaison ou d’ensemble qu’ils créent. Par ailleurs, ajoute le Review Board, le nombre d’étoiles et de polygones est uniquement dicté par une contrainte technique : la contrainte dictée par la circonférence du cercle (le contour du ballon).
L’UEFA avait également plaidé que l’impression 3D donnée par le positionnement des étoiles et des polygones blancs devait contribuer à la créativité de son starball. Le Review Board estime que cette considération ne change rien au défaut de créativité caractérisant l’oeuvre à examiner.
Pour tous ces motifs, et en l’absence de créativité suffisante, le Review Board conclut au défaut d’originalité du logo utilisé par l’UEFA pour sa célèbre compétition “Champions League” et refuse de lui conférer une protection par le copyright.
En clair: il ne s’agit que étoiles basiques de couleur noire, qui ne se distinguent en rien de la forme basique de n’importe quelle étoile et de la notion d’étoile définie dans le dictionnaire ; étoiles basiques placées à l’intérieur d’un ballon, qui sont donc soumises à une contrainte en raison de la forme de la circonférence du cercle caractérisant le ballon; ce qui crée de facto des polygones blancs, qui n’ont rien de créatif mais ne sont rien de plus que des polygones de base, et dont la position est dictée par la position des étoiles et de la forme du cercle… La combinaison des étoiles et l’impression d’ensemble n’apportent rien de plus et ne va pas jusqu’à conférer une créativité suffisante à la composition d’ensemble.
Conclusion: pas de protection par le copyright (droit d’auteur) sur cette composition d’ensemble banale et insuffisamment créative !
Raté donc pour l’UEFA en termes de copyright (droit d’auteur) ! Mais heureusement pour elle, le starball est également déposé comme marque. Et comme les conditions de protection du droit d’auteur et du droit des marques sont différentes, cela semble moins problématique du point de vue des marques. Attention donc à ne pas violer les droits de marque de l’UEFA sur le starball !
Pour votre info, la marque de l’UEFA, en Europe, couvrant le starball est la suivante :
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Dans un prochain billet consacré au sport, j’aimerais vous raconter le problème rencontré par la Formule 1 avec son “nouveau” logo déposé comme marque. En effet, la société 3M a introduit une opposition contre ce logo sur la base d’un logo / singe antérieur (sorte de F). Mais j’attends la décision d’opposition de l’EUIPO pour pouvoir vous raconter cela dans tous les détails !
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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles