Les oeuvres scientifiques et le droit d’auteur

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Principe : les œuvres scientifiques sont protégées par le droit d’auteur

Les œuvres scientifiques sont incontestablement protégées par le droit d’auteur comme le confirme l’article 2 de la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques :

« (1) Les termes ‘œuvres littéraires et artistiques’ comprennent toutes les productions du domaine littéraire, scientifique et artistique, quel qu’en soit le mode ou la forme d’expression, telles que : les livres, brochures et autres écrits ; les conférences, allocutions, sermons et autres œuvres de même nature ; les œuvres dramatiques ou dramatico-musicales ; les œuvres chorégraphiques et les pantomimes ; les compositions musicales avec ou sans paroles ; les œuvres cinématographiques, auxquelles sont assimilées les œuvres exprimées par un procédé analogue à la cinématographie ; les œuvres de dessin, de peinture, d’architecture, de sculpture, de gravure, de lithographie ; les œuvres photographiques, auxquelles sont assimilées les œuvres exprimées par un procédé analogue à la photographie ; les œuvres des arts appliqués; les illustrations, les cartes géographiques ; les plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l’architecture ou aux sciences ».

Étendue de la protection : seule la (mise en) forme est protégée, à l’exclusion du contenu !

Conformément à la philosophie du droit d’auteur, la protection des œuvres scientifiques ne s’étend qu’à la (mise en) forme réalisée par son ou ses auteurs (à la condition que celle-ci soit originale).

Comme l’explique A. Berenboom (Le nouveau droit d’auteur et les droits voisins, 4e éd., Bruxelles, Larcier, 2008, pp. 74-75) :

“La protection ne vise pas le contenu même de l’ouvrage scientifique, historique ou d’information : un savant qui expose une découverte ne peut faire protéger celle-ci par la loi sur le droit d’auteur, pas plus qu’un historien pour les faits historiques qu’il relate ou les évènements qu’il raconte.

 (…)

La science n’est pas fiction : elle naît en dehors de l’inventeur, même s’il a fallu son génie pour l’amener à la lumière.

(…)

Par contre, le véhicule par lequel l’homme de science ou le vulgarisateur a exprimé sa pensée est protégé comme œuvre littéraire ou artistique : conférence, livre, film, dessin, c’est-à-dire son aménagement personnel des faits, découvertes et informations”.

L’analyse n’est pas différente pour S. Ricketson et J. C. Ginsburg (International Copyright and Neighbouring Rights – The Berne Convention and Beyond, vol. 1, Oxford, 2005, p. 406) :

“First, ‘scientific production’ does not refer to such things as scientific discoveries, as the basic principle that copyright does not protect ideas but only the form in which they are expressed applies as much to the Berne Convention as it does to national laws”.

En d’autres termes, peu importe le mérite du travail scientifique, de la découverte ou de l’invention sous-jacente, seule la (mise en) forme est pertinente en droit d’auteur, et il n’est pas question de protéger le contenu des œuvres scientifiques par le droit d’auteur.

Une œuvre scientifique ne sera, en règle, contrefaite qu’en cas de copie servile

Il est assez difficile pour une œuvre scientifique d’être originale étant donné que sa (mise en) forme est largement dépendante du contenu (voy. à ce propos J. Englebert, “Quand l’œuvre scientifique est-elle originale ?”, A&M, 2004/2, p. 150, n° 5 ; F. de Visscher et B. Michaux, Précis du droit d’auteur et des droits voisins, Bruxelles, Bruylant 2000, p. 19, n° 21).

Il en découle que la contrefaçon d’une œuvre scientifique sera plus difficile à rapporter et nécessitera quasiment une copie servile. Comme l’écrivent A. Lucas, H.-J. Lucas et A. Lucas –Schloetter (Traité de la propriété littéraire et artistique, 4e éd., Paris, LexisNexis, 2012, pp. 314-316):

“L’originalité des œuvres scientifiques étant normalement plus faible, la protection sera plus limitée. Comme l’observe Desbois, ‘les faits imposent leur tyrannie aux hommes de science’, de sorte que le juge ne pourra s’appuyer que sur ‘le choix des expressions’ et ‘le détail de l’aménagement’. 

 (…)

A supposer même qu’elle puisse être décelée, l’originalité, dans son acception subjective traditionnelle, est en effet généralement si faible que la contrefaçon ne devrait être admise qu’en cas de copie servile ou quasi-servile.

 (…)

 Il est clair qu’une protection aussi limitée perd beaucoup de son intérêt dans la mesure où elle permet aux parasites de s’approprier licitement la substance de l’œuvre, c’est-à-dire le savoir-faire qui la sous-tend, en camouflant leur emprunt sous quelques modifications mineures”.

Pour parler clair, si le chercheur A écrit un article sur le sujet X :

  • le chercheur B peut écrire un autre article sur le même sujet X ;
  • le chercheur B peut même écrire un article sur le sujet X en reprenant toutes les idées, toutes les découvertes et toutes les expériences que le chercheur A a décrites dans son article.

Ce que ne peut pas faire le chercheur B, c’est :

  • reprendre la mise en forme du chercheur A (c’est-à-dire la manière dont le chercheur A a formulé ou structuré son article) ;
  • recopier (des passages de) l’article du chercheur A, fût-ce quelques phrases ;
  • plagier le chercheur A.

Sauf, bien entendu, si la mise en forme du chercheur A et/ou la formulation utilisée par celui-ci ne sont pas originales.

Conclusion

L’intérêt du droit d’auteur est assez limité vis-à-vis des travaux scientifiques.

Le droit d’auteur n’empêchera jamais quelqu’un de s’accaparer tout le travail d’autrui en formulant, exprimant ou présentant ce travail d’une autre façon.

La seule façon de protéger efficacement le contenu d’une œuvre scientifique consiste à déposer un brevet, mais encore faut-il que ledit contenu soit brevetable, c’est-à-dire :

  • qu’il s’agisse d’une invention (une simple découverte n’est pas brevetable) ; et
  • que cette invention soit nouvelle, inventive et susceptible d’application industrielle.

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles