Noms de domaine descriptifs, entre marketing et propriété intellectuelle

Je dis souvent que la propriété intellectuelle est partout.

Cela s’est encore vérifié lors de mon dernier séjour en Corse.

J’étais dans la très belle ville de Calvi, avec sa célèbre citadelle.

Un jour où je n’avais pas envie de cuisiner, j’ai décidé d’aller acheter des pizzas.

J’ai été frappé par le fait que les boîtes à pizzas étaient estampillées du nom de domaine pizzacalvi.fr

Est-ce une bonne idée d’utiliser un tel nom de domaine ?

C’est ce dont je vais vous parler aujourd’hui.

Nom de domaine descriptif : notion

Un nom de domaine descriptif est un nom de domaine composé de mots qui désignent un produit, un service, une activité et/ou des caractéristiques y liées.

C’est le cas du nom de domaine pizzacalvi.fr, puisque celui-ci est composé du mot “pizza” (= le produit commercialisé) et du mot “Calvi” (= le lieu où ce produit est commercialisé).

Il en irait de même pour un nom de domaine “débouchage-urgent”. En effet, le service offert (débouchage) est accompagné d’une caractéristique de ce service (à savoir une intervention rapide, dans l’urgence, à bref délai).

On trouve, sur Internet, de très nombreux exemples de noms de domaines descriptifs en tous genres, dans des champs d’activité très variés (d’une rapide recherche, j’ai pu le constater dans des secteurs aussi différents que la dentisterie, la plomberie, les funérailles, la destruction de nids de guêpes…).

Le point de vue marketing

D’un point de vue marketing, utiliser un nom de domaine descriptif a des avantages.

Notamment en termes de référencement et de SEO (search engine optimization).

En effet, lorsqu’un internaute saisira “pizza” et “Calvi” dans Google (ou dans un autre moteur de recherche), il y a de fortes chances que le nom de domaine pizzacalvi.fr soit le premier résultat ou, en tout cas, l’un des tous premiers.

Surtout si cet internaute se trouve dans la zone géographique pertinente.

Le point de vue juridique

D’un point de vue juridique, c’est une toute autre histoire.

Utiliser un nom de domaine descriptif empêchera toute protection sur celui-ci (toute exclusivité, tout monopole).

En effet, personne ne peut revendiquer une protection sur des mots comme “pizza” et “Calvi” (ou sur “débouchage” et “urgent”).

Ces mots (purement descriptifs) doivent rester disponibles pour tous les opérateurs qui, sur le marché, offrent les mêmes produits ou services.

L’EUIPO l’a très bien expliqué dans le contexte des marques (voyez ici) :

“L’intérêt général sous-jacent à l’article 7, paragraphe 1, point c), du RMUE est d’empêcher la création de droits exclusifs sur des termes purement descriptifs que d’autres commerçants pourraient souhaiter utiliser également”.

Un nom de domaine ne confère, en soi, aucune protection. Pour revendiquer une protection sur les mots contenus dans un nom de domaine, il faut pouvoir invoquer une marque, un nom commercial ou un autre signe distinctif protégé.

Or, en matière de signes distinctifs, la règle est qu’une dénomination (purement) descriptive n’est pas susceptible de protection.

J’insiste sur l’adverbe “purement” car si la dénomination n’est qu’en partie descriptive, une protection est possible (mais c’est à vérifier in concreto).

Prenons deux exemples pour illustrer ce qui précède.

  • Le propriétaire du nom de domaine comparateur-energie.be a échoué à faire interdire l’usage du nom de domaine comparateurenergie.be, au motif qu’aucune protection ne peut exister sur les termes “comparateur” et “energie” en raison de leur caractère purement descriptif (voyez la décision 444108 du tiers décideur CEPANI). Le passage suivant de cette décision est intéressant : “It is observed that the terms ‘comparateur’ and ‘energie’ are generic, descriptive terms for the type of services offered by both Complainant and the Domain name holder. It is not sufficient for Complainant to state that the combination of both generic terms results in a ‘distinctive’ name, without proof that the same is protected under a trade mark, as a trade name or any other sign that could be protected (…)”.

  • A l’inverse, le propriétaire du nom de domaine sd-debouchage.be est parvenu à faire interdire l’usage du nom de domaine sddebouchage.be ; ceci parce qu’en raison des lettres “sd”, le nom de domaine n’est pas purement descriptif (voyez la décision 444137 du tiers décideur CEPANI).

Autre exemple intéressant (en plus, parfaitement dans le thème de la Corse !) : le propriétaire du nom de domaine mariagesencorse.com s’opposait à l’enregistrement par un concurrent du nom de domaine mariageencorse.com (la seule différence entre les deux noms de domaine se situant au niveau du “s” après “mariage”)

Dans un arrêt du 20 mars 2013 (n°2011/00867), la cour d’appel de Bastia va rejeter cette action en justice, au motif que les termes “mariages” et “en Corse” sont purement descriptifs de l’objet et du lieu de l’activité concernée. Par conséquent, aucune protection ne peut être revendiquée sur ceux-ci ; et la partie adverse n’a pas commis de faute en enregistrant et en utilisant un nom de domaine quasi-identique.

En pratique

Comme nous l’avons vu, il y a du pour et du contre à choisir un nom de domaine (purement) descriptif.

Il faut donc faire une balance des intérêts (et des besoins) au moment de se décider.

Est-ce que l’aspect marketing (référencement, SEO) prédomine ?

Ou est-ce plutôt l’aspect protection (propriété intellectuelle, exclusivité) qui compte ?

A côté de cela, il est aussi possible d’emprunter une voie intermédiaire : un nom de domaine en partie descriptif (comme, par exemple, sd-debouchage.be).

Sans oublier que les approches peuvent être combinées :

  • choisir un nom distinctif et fort – qui pourra, le cas échéant, être déposé comme marque ; ou, au moins, constituer un nom commercial en raison de l’usage ; et
  • enregistrer un nom de domaine (en tout ou en partie) descriptif pour les besoins marketing en ligne.

Encore une réflexion : dans l’hypothèse où un nom purement descriptif serait choisi, une façon d’empêcher les tiers d’utiliser le même nom de domaine (avec une autre extension) ou une variante minime (ajout ou suppression d’un tiret, d’une lettre…) est d’enregistrer soi-même ces autres extensions et variantes.

L’impossibilité juridique de protéger un nom de domaine purement descriptif peut potentiellement être contournée par une appropriation de fait. Cette stratégie a toutefois ses limites :

  • vu le nombre d’extensions existantes, cela peut se révéler très coûteux ;
  • par ailleurs, toutes les variantes ne peuvent pas être anticipées avec certitude ;
  • enfin, une telle pratique pourrait, le cas échéant, aussi être considérée comme abusive.

***

Si le sujet des noms de domaine vous intéresse, je vous renvoie, en particulier, à mon article “On m’a volé mon nom de domaine” : quand peut-on parler de cybersquatting ?

Et si vous souhaitez en savoir plus sur le droit des marques (qui reste le moyen le plus efficace de protéger un signe distinctif) :

FredericLejeuneLogo

Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles