Photographie et droit d’auteur : le cas des paparazzis
Comme je l’écrivais dans mon billet intitulé Droit d’auteur et photos prises avec un smartphone :
1. Les photographies sont protégeables par le droit d’auteur, pour autant qu’elles soient originales.
2. Une photographie sera jugée originale si elle constitue une création intellectuelle propre à son auteur ; si elle reflète la personnalité de son auteur ; et si elle est le résultat de choix libres et créatifs de son auteur.
3. L’auteur d’une photographie peut effectuer des choix libres et créatifs :
– en mettant en scène (d’une façon ou d’une autre) l’objet qu’il va photographier ;
– en demandant au sujet qu’il va photographier de prendre telle ou telle pose ;
– en prenant sa photo avec un cadrage ou un angle de vue particulier ;
– en faisant le choix d’un éclairage plutôt que d’un autre ;
– en créant une atmosphère particulière pour prendre sa photo ;
– en retouchant sa photo au moyen d’un logiciel.
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Toutes les photographies ne sont pas pour autant originales.
La cour d’appel de Paris a rendu une décision intéressante rejetant l’originalité de photographies prises par des paparazzis (5 décembre 2007 – N° de RG: 06/15937).
Les faits à l’origine de cette décision sont simples. En 2004, deux paparazzis parviennent à photographier le prince William en compagnie de sa toute nouvelle petite amie Kate.
Kate était encore inconnue du public à cette époque, de sorte que les photos prises ce jour-là par lesdits paparazzis étaient un véritable “scoop”.
La société pour laquelle les deux paparazzis travaillent réserve l’exclusivité de ces photos à certains magazines.
Par la suite, cette société se rend compte que d’autres magazines ont repris ces photos.
Estimant qu’il s’agissait là, ni plus ni moins, de contrefaçon de droits d’auteur, ladite société assigne ces magazines en justice, lesquels pour se défendre contestent l’originalité desdites photos. Or, s’il n’y a pas d’originalité, ces photos ne sont pas protégées par le droit d’auteur et peuvent être utilisées et réutilisées librement par n’importe qui…
La cour d’appel de Paris confirme que les photos litigieuses ne sont pas originales et qu’il n’y a donc pas :
- de protection par le droit d’auteur ; et pas :
- de contrefaçon.
La cour d’appel de Paris motive cette décision comme suit :
“Et considérant que, en second lieu, ces clichés représentent le prince William et Kate A… utilisant un téléski côte à côte une main posée sur la barre axiale de l’appareil et l’autre tenant leurs bâtons de ski, de sorte que les photographies en cause sont dépourvues d’originalité comme ne reproduisant qu’une scène d’une grande banalité sans que la sensibilité des photographes ou leur compétence professionnelle transparaissent ;
Qu’en effet les photographes ont eu un comportement purement passif puisqu’ils se sont bornés à installer leurs objectifs en direction du téléski afin de disposer d’une fenêtre de visé, entre les arbres, et à déclencher leur appareil à l’apparition du prince B… et de Kate A… ; qu’ils ne sauraient donc se prévaloir d’une quelconque mise en scène, ni d’un cadrage particulier, pas plus que du choix d’un angle de vue et encore moins du moment pour réaliser les clichés litigieux dès lors que l’instant auquel ils ont déclenché leurs appareils était exclusivement commandé par l’apparition, pour quelques secondes, des personnages pris pour cible; que, en outre, il n’est pas démontré, ni même allégué, qu’ils aient ‘retravaillé’ ces clichés ;
Que, enfin, cette absence d’originalité se déduit des propres écritures de la société ELIOT PRESS : ils (les photographes) sont restés cachés pendant plusieurs jours dans la neige, avec un téléobjectif, guettant le moment opportun pour saisir l’instant convenable de prise de vue, attitude caractéristique de tout paparrazi à l’affût d’une scène, à la composition de laquelle il est totalement étranger, qu’il convient, pour reprendre l’expression consacrée, de shooter les personnages y participant, suivant la technique du déclenchement continu, dite de la ‘prise en rafale’ ;
Qu’il résulte de ces constatations que les deux photographies litigieuses étant dépourvues de toute originalité, il convient de rejeter l’ensemble des prétentions de la société ELIOT PRESS et, par voie de conséquence, d’infirmer le jugement déféré”.
C’est donc :
- la grande banalité des photos litigieuses ;
- le fait que l’on ne retrouve pas dans ces photos la sensibilité de leurs auteurs ;
- la totale passivité des photographes se sont contentés d’attendre l’arrivée des sujets (en l’occurence : William et Kate) et déclencher leur appareil au moment de l’apparition de ceux-ci ;
- l’absence de choix (quant à la mise en scène, au cadrage, à l’angle de vue…) ;
- le fait que les photos litigieuses n’ont pas été retravaillées ou retouchées ;
qui justifient, pour la cour d’appel de Paris, l’absence d’originalité des photos litigieuses de William et Kate.
Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles