Programmes d’ordinateur et droit d’auteur : l’expression littérale

Nous avons déjà parlé de la protection des programmes d’ordinateur par le droit d’auteur ; par exemple ici.
Ce qu’il faut retenir, c’est que la protection s’attache au « texte » du programme d’ordinateur, c’est-à-dire au code (source ou objet) de celui-ci.
A contrario, les fonctionnalités d’un programme ne sont pas protégeables par le droit d’auteur, car elles s’apparentent à des idées.
Avec, une zone grise, puisque le matériel de conception préparatoire est, sur le principe, protégeable par le droit d’auteur. Mais la difficulté est de savoir à partir de quel moment un matériel de conception préparatoire est suffisamment élaboré pour bénéficier de la protection. Comme je l’expliquais ici :
« (…) entre une simple liste de fonctionnalités, d’une part, et le code, d’autre part, il peut y avoir ‘beaucoup’.
Or, précisément, qu’est-ce qui, dans ce ‘beaucoup’, peut être vu comme du matériel de conception préparatoire potentiellement protégé ?
Quel dossier d’analyse, quel schéma, quel organigramme, quel diagramme de flux, quel croquis, quelle note, quel cahier des charges, … peut être considéré comme du matériel de conception préparatoire potentiellement protégé ?
La zone grise est immense entre, d’un côté, les simples fonctionnalités et, de l’autre, le code déjà formalisé ».
Mais revenons à ce dont je souhaite vous parler aujourd’hui.
Dans son arrêt Sony c. Datel (C‑159/23), la Cour de justice de l’Union européenne a dit, de la façon la plus claire qui soit, que la protection des programmes d’ordinateur se limite à l’ « expression littérale » du programme d’ordinateur, c’est-à-dire à l’aspect « code » :
« Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 38 et 40 de ses conclusions, la protection garantie par la directive 2009/24 se limite à la création intellectuelle telle qu’elle se reflète dans le texte du code source et du code objet et, partant, à l’expression littérale du programme d’ordinateur dans ces codes, qui constituent respectivement un ensemble d’instructions selon lesquelles l’ordinateur doit effectuer les tâches prévues par l’auteur du programme » (§38 de l’arrêt).
L’avocat général, cité par la Cour, avait expliqué ce qui suit au point 38 de ses conclusions :
« Une telle lecture de la directive 2009/24, ou de celle l’ayant précédée, comme limitant la protection au code source et au code objet d’un programme d’ordinateur est conforme à la nature de la protection par le droit d’auteur, en tant qu’œuvres littéraires, régime de protection choisi par le législateur de l’Union. Une telle protection vise nécessairement le texte de l’œuvre, dans la mesure où, concernant une œuvre littéraire, l’expression de la création intellectuelle de l’auteur se reflète dans le texte. Or, dans le cas d’un programme d’ordinateur, le texte est le code, c’est-à-dire un ensemble structuré d’instructions selon lesquelles la machine doit effectuer les tâches prévues par l’auteur du programme ».
C’est donc bien le « texte » du programme d’ordinateur, son « expression littérale », c’est-à-dire son code, qui est susceptible de protection par le droit d’auteur. Rien d’autre, sous réserve de deux précisions.
La première précision a trait au matériel de conception préparatoire. Celui-ci est aussi susceptible de protection par le droit d’auteur (en ce qu’il est assimilé au programme en tant que tel). Mais, comme déjà indiqué, il est difficile de savoir ce que recouvre vraiment la notion de matériel de conception préparatoire protégeable. L’avocat général n’aborde pas la question car ce n’est, selon lui, pas pertinent pour la solution de l’affaire Sony c. Datel. Il se contente d’indiquer que seuls « certains » matériels de conception préparatoire peuvent être protégés (note 19 de ses conclusions) – sans fournir de plus amples précisions à cet égard. La Cour de justice ne s’étend guère plus sur cette question. Cela dit, il me semble que le §43 de l’arrêt peut être compris comme confirmant le caractère assez restrictif de la notion de matériel de conception préparatoire protégeable.
La seconde précision, c’est qu’il faut bien distinguer la notion de programme d’ordinateur au sens strict (dont on parle ici) et la notion de logiciel. Je m’en suis expliqué dans mon ouvrage Le droit d’auteur en questions (note 106) :
« Techniquement, un logiciel est composé d’un ou plusieurs programmes (au sens strict) et d’autres éléments comme des données, des fichiers, des documents, des photographies, des éléments graphiques… Par ailleurs, un logiciel a, en principe, une interface utilisateur (en ce compris graphique) ».
La notion de programme d’ordinateur est donc plus restrictive que la notion de logiciel.
Or, si la protection par le droit d’auteur des programmes d’ordinateur se limite au code (et au matériel de conception préparatoire) ; il n’en demeure pas moins que certains éléments d’un logiciel (comme, par exemple, l’interface graphique, des textes, des images…) peuvent aussi bénéficier d’une protection par le droit d’auteur.
Ceci nous permet d’introduire la différence entre le droit d’auteur « spécial » des programmes d’ordinateur ; et le droit d’auteur « général » qui s’applique aux autres types d’oeuvre en général (oeuvres littéraires, oeuvres graphiques, oeuvres musicales…), mais aussi aux programmes d’ordinateur quand le droit spécial ne prévoit pas de règle spécifique.
Si les liens entre le droit d’auteur « général » et le droit d’auteur « spécial » vous intéressent, je vous renvoie aux pages 30 à 42 de mon ouvrage Le droit d’auteur en questions.
N’hésitez pas non plus à me contacter pour toute question relative aux programmes d’ordinateur (ou aux logiciels) et à leur protection (ou contrefaçon).

Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles