Reprise d’un discours et droit d’auteur, contrefaçon ?

 Photo de Kane Reinholdtsen sur Unsplash

La récente reprise par Marine Le Pen d’une partie d’un discours de François Fillon a fait couler beaucoup d’encre.

Je vous propose aujourd’hui de revenir sur cet incident et de l’analyser à la lumière du droit d’auteur.

Si vous n’en avez pas entendu parler, vous trouverez facilement des vidéos comparant les deux discours sur YouTube.

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il y a eu reprise au mot près.

Marine Le Pen a, du reste, reconnu cette reprise et l’a assumée comme un clin d’oeil aux électeurs de François Fillon (voyez à ce propos ici).

Ce n’est toutefois pas sur les motivations et les justifications de Marine Le Pen que je souhaite m’appesantir ici.

Non, ce que cet épisode m’a donné l’envie de faire, c’est de vous expliquer les liens entre discours et droit d’auteur.

Un discours, en tant qu’enchainement de mots et de phrases, constitue bel et bien une oeuvre protégeable au sens du droit d’auteur (voyez, à ce sujet, l’article 2 de la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques qui classe, parmi les oeuvres protégeables, “les conférences, allocutions, sermons et autres œuvres de même nature”).

Sur le principe donc, la protection d’un discours par le droit d’auteur ne fait pas débat.

Au cas par cas, il faudra toutefois encore apprécier si le discours envisagé :

  • est “original” (car seules sont protégées par le droit d’auteur les oeuvres “originales”) ;
  • est “mis en forme” (ce qui sera le cas si le discours a déjà été prononcé en public ou s’il a été couché sur papier avant son prononcé en public).

A priori, et jusqu’à preuve du contraire, le discours prononcé par François Fillon est original en ce sens qu’il est le résultat de choix libres et créatifs de son auteur autour de différents thèmes sélectionnés, agencés et traités d’une façon particulière. De même, les mots, les phrases, ainsi que les citations littéraires et historiques mobilisées dans ce discours, ont fait l’objet de choix libres et créatifs par l’auteur de celui-ci.

Par conséquent, – et sauf si un tiers se manifestait en établissant qu’il avait précédemment écrit et/ou prononcé un discours articulé autour des mêmes idées, et agencé, structuré, formalisé de la même manière ou d’une façon très similaire – , le discours prononcé par François Fillon doit être considéré comme satisfaisant à la condition d’originalité.

Quant à la mise en forme, elle ne fait aucun doute, puisque François Fillon a prononcé son discours publiquement et que ce prononcé a fait l’objet d’un enregistrement (vous pouvez le trouver sur YouTube). Il n’est donc même pas nécessaire de voir si François Fillon avait préalablement couché son discours sur papier… puisqu’il existe un enregistrement vidéo de celui-ci.

Original et mis en forme, le discours prononcé par François Fillon doit donc être considéré comme protégé par le droit d’auteur.

Or, il se fait que Marine Le Pen a repris et prononcé au mot près certaines parties du discours de François Fillon.

A priori, Marine Le Pen a donc commis un acte de violation de droits d’auteur ; ce que l’on appelle dans le jargon un acte de contrefaçon.

En effet, tout comme une troupe de théâtre ne peut pas jouer, devant un public, une pièce écrite par un auteur sans demander et – surtout – obtenir l’autorisation de cet auteur, Marine Le Pen ne pouvait pas prononcer en public le discours de François Fillon sans lui demander et sans obtenir son autorisation.

Sauf évidemment si François Fillon n’est pas l’auteur de ce discours !

Or, c’est précisément ce qui semble s’être produit en l’espèce : l’auteur du discours litigieux serait un certain Monsieur Paul-Marie Couteaux, lequel aurait apparemment été d’accord pour que Marine Le Pen reprenne certaines parties du discours qu’il avait précédemment écrit pour François Fillon (je mets, bien sûr, tout ceci au conditionnel puisque je me base sur des explications fournies par leparisien.fr).

Alors évidemment, si l’auteur du discours prononcé par François Fillon a autorisé Marine Le Pen à reprendre certaines parties dudit discours, il n’y a plus de problème juridique. Seule subsisterait un éventuel problème moral ou d’opportunité politique.

Oui, mais attention, pas si vite…

Il faudrait quand même encore s’assurer qu’entre le discours écrit par le tiers et le discours prononcé par François Fillon, il n’y a pas eu trop de différences car si François Fillon a un peu (trop) improvisé, l’oeuvre prononcée par François Fillon et reprise au mot près par Marine Le Pen n’est plus le discours initialement écrit par Monsieur Couteaux mais l’improvisation réalisée par François Fillon… et, dans ce cas, on retombe à nouveau dans la nécessité d’obtenir l’autorisation de l’auteur de l’improvisation, soit François Fillon.

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Frédéric Lejeune, avocat au barreau de Bruxelles